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LA PITIÉ SUPRÊME.


Vous plaignez les proscrits ; mais vous ne savez pas
Tout ce qu’ils ont d’air pur, d’orgueil, de larges pas,
De respiration fière et de paix sublime,
Tout ce qu’ils ont d’azur au fond de leur abîme,
Et, jetés par les vents sur les écueils amers,
De ressemblance avec le libre flot des mers !
Vous ne vous doutez pas de ces immenses joies,
Subir les durs revers, suivre les âpres voies,
Etre chassé, traqué, meurtri, persécuté,
Souffrir pour la justice et pour la vérité !
Vous plaignez les proscrits ; occupez mieux vos larmes,
Plaignez le proscripteur. Soupçon, angoisse, alarmes,
Remords, voilà sa vie ; il se redit les noms
Des bannis, des captifs plongés aux cabanons,
De ceux qu’il a jetés là-bas à l’agonie ;
Le vent râle la nuit pendant son insomnie ;
Pâle, il prête l’oreille, il écoute le cri
De Pathmos, de Syène ou de Sinnamari ;
S’il dort, quel songe ! il voit Tibère lui sourire,
Brutus rôder, Caton saigner. Tacite écrire ;
Il a beau vivre, idole, au fond d’un tourbillon,
Mettre dans toute bouche ou l’hymne ou le bâillon,
Que dira l’avenir ? Il se sent responsable
Des fièvres de l’exil, de la plage de sable,
Du marais, du soleil, et du zèle d’en bas,
Du geôlier harcelant ces fers et ces grabats,
Du valet tourmenteur qui crée, invente, innove,
Et le flatte en frappant la victime ; Hudson Lowe
Pèse plus sur les rois que sur Napoléon.


*


Un jour le sacré temple humain, le Panthéon,
Jettera son éclipse auguste sur vos dômes,
Mornes villes du mal, Kremlins, Stambouls, Sodomes,
Et l’oubli couvrira de son brouillard glacé