Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/141

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femme du nord est vieille et a affaire à un homme plus jeune qu’elle, elle le suce jusqu’à la moelle.

Puis le roi de rire.

M. Duchâtel, qui est gros et gras, qui a des favoris et quarante-cinq ans, rougit très fort.




Novembre.

Le roi, chez lui, le soir, ne porte habituellement aucune décoration. Il est vêtu d’un habit marron, d’un pantalon noir et d’un gilet de satin noir ou de piqué blanc. Il a une cravate blanche, des bas de soie à jour et des souliers vernis. Il porte un toupet gris, peu dissimulé, et coiffé à la mode de la restauration. Point de gants. Il est gai, bon, affable et causeur.

Son voyage en Angleterre l’a charmé. Il m’en a parlé une heure et demie avec force gestes et imitations de l’accent anglais et des pantomimes anglaises.

— J’ai été fort bien accueilli, me disait-il. La foule, les acclamations, les salves d’artillerie, les banquets, cérémonies, fêtes, visites des corps de ville, harangue de la cité de Londres, rien n’a manqué. Dans tout cela, deux choses surtout m’ont touché. Près de Windsor, à un relais, un homme, qui avait suivi ma voiture en courant, s’est arrêté près de moi à la portière, en criant : — Vive le roi ! vive le roi ! vive le roi ! — en français. Puis il a ajouté, toujours en français : — Sire, soyez le bienvenu chez ce vieux peuple d’Angleterre ; vous êtes dans un pays qui sait vous apprécier. — Cet homme ne m’avait jamais vu et ne me reverra jamais. Il n’attend rien de moi. Il m’a semblé que c’était la voix du peuple. Cela m’a touché plus que tous les compliments. — En France, au relais après Eu, un ivrogne me voyant passer a dit à haute voix : — Voilà le roi de retour. Tout est bien. Les anglais sont contents, les français seront tranquilles. — Paix et satisfaction des peuples, c’est en effet mon but.

Oui, j’ai été bien reçu en Angleterre. Et si l’empereur de Russie a comparé son accueil au mien, il a dû souffrir, lui qui est vaniteux. Il est venu en Angleterre avant moi pour m’empêcher de faire mon voyage. C’est une sottise. Il eût mieux fait de venir après moi. On eût été obligé de le traiter de la même façon. Par exemple, il n’est pas aimé à Londres. Je ne sais pas si l’on eût pu obtenir que le corps de ville se dérangeât pour l’aller voir. Ces aldermen sont des blocs.