Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/171

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non seulement les doigts des pieds, le nombril, les bouts du sein, mais encore les veines et la couleur du moindre signe de la peau sur toutes les parties du corps. Vers le bas-ventre pourtant le maillot s’épaississait et l’on ne distinguait plus que les formes. Les hommes qui les assistaient étaient arrangés de même. Ces gens étaient tous anglais.

De cinq en cinq minutes, le rideau s’entr’ouvrait, et ils exécutaient un tableau. Pour cela ils étaient montés et disposés dans des attitudes immobiles sur un large disque en planches, lequel tournait sur un pivot. Un enfant de quatorze ans couché dessous sur un matelas suffisait à manœuvrer ce disque. Hommes et femmes étaient affublés de chiffons de gaze ou de mérinos fort laids de loin et fort ignobles de près. C’étaient des statues roses. Quand le disque avait achevé un tour et montré les statues sous toutes leurs faces au public entassé dans la salle obscure, le rideau se refermait, on disposait un autre tableau, et la chose recommençait le moment d’après.

Deux de ces femmes étaient fort jolies. Une ressemblait à Mme  Rey qui joua la Reine dans Ruy Blas en 1840. C’était celle-là qui faisait Vénus. Elle était admirablement faite. Une autre était plus que jolie, elle était belle et superbe. On ne pouvait rien voir de plus magnifique que son œil noir et triste, sa bouche dédaigneuse, son sourire à la fois enivrant et hautain. Elle s’appelait, je crois. Maria. Dans un tableau qui représentait un marché d’esclaves, elle avait le désespoir impérial et l’accablement stoïque d’une reine vendue toute nue dans la rue au premier passant. Son maillot, déchiré sur la hanche, laissait voir sa chair blanche et ferme. C’étaient, du reste, de pauvres filles de Londres. Toutes avaient les ongles sales.

Rentrées dans la coulisse, elles riaient volontiers aussi bien avec les machinistes qu’avec les auteurs, baragouinant le français, et ajustant toutes sortes d’affreux oripeaux sur leurs charmants visages. Elles avaient ce paisible sourire de la parfaite innocence ou de la complète corruption.




Trait de probité. — Un homme a trouvé deux billets, l’un de mille francs, l’autre de l’Odéon. Il a rapporté fidèlement le billet de l’Odéon. On ne saurait donner trop de publicité à de pareils actes qui honorent notre époque.