Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III

SALVANDY.


1846.

M. de Salvandy était, au grand nom près, le Sosthènes de La Rochefoucauld de la branche cadette. Mêmes ridicules, mêmes vanités ; mêmes façons chevaleresques, mêmes instincts généreux, même talent littéraire. Dans son enfance, M. de Salvandy s’était fait chasser du lycée Napoléon. Voici à quelle occasion. Il était lecteur de sa classe au réfectoire. Un jour il s’avisa de composer un bulletin de victoire de la grande armée et de le lire pendant le dîner. Grandes acclamations. C’était pendant la guerre de 1812. Le lendemain point de victoire au Moniteur. Tout le contraire. Le jeune Salvandy fut chassé du lycée et exclus pour ce fait de tous les autres lycées. Il devait plus tard être grand-maître de l’Université.

Il avait vingt-trois ans quand Mme  Gail le mena chez Mme  Gay. Ce fut son entrée dans le monde. Il n’avait pas quatre mouchoirs dans son tiroir. Mme  Gay de s’exclamer. — Ah mais, ma chère, dit-elle à Mme  Gail, votre petit jeune homme est plein de ridicules. Il faut le corriger. — Grand Dieu, s’écrie Mme  Gail, ne lui ôtez pas ça ! Qu’est-ce qui lui restera ? Et puis, c’est par là qu’il arrivera.

C’est par là qu’en effet il est arrivé.

Il a été ministre, académicien, député, comte, ambassadeur, grand-cordon de la Légion d’honneur.

Il y avait un coiffeur d’Agen appelé Jasmin qui faisait des vers patois. Un jour, vers décembre 1846, il s’avisa d’écrire à ce Jasmin une lettre qu’il fit mettre dans les journaux. Cette lettre commençait par : Mon cher confrère.

— Est-ce en qualité de perruquier ? dit Mme  de Girardin.

Mme  Gay me disait de lui : Avec son toupet, ses hanches, ses façons et ses ridicules, il est pétri de finesses habiles. Ses ridicules mêmes sont des moyens. Il a des gaucheries visibles et des adresses cachées.




IV


M. de Salvandy était allé chez M. Roy à…

M. Roy a deux millions de rente. M. de Salvandy arrive, dîne, et, à dix heures du soir, chacun va se coucher. M. de Salvandy a coutume de lire