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À cette séance, M. le duc d’Aumale, ayant ses vingt-cinq ans accomplis, est venu siéger pour la première fois. M. le duc de Nemours et M. le prince de Joinville étaient assis près de lui derrière le banc des ministres, à leurs places ordinaires. Ils n’étaient pas de ceux qui riaient le moins.

M. le duc de Nemours, s’étant trouvé le plus jeune de son bureau, y a fait les fonctions de secrétaire, comme c’est l’habitude. M. de Montalembert a voulu lui en épargner la peine. — Non, a dit le prince, c’est mon devoir. — Il a pris l’urne, et a fait, comme secrétaire, le tour de la table pour recueillir les scrutins.




IV


1847.

La Chambre des pairs était fort préoccupée l’autre jour. Les bruits de guerre circulaient[1]. M. Decazes disait dans mon bureau : — Je suis heureux, dans ma tristesse, de décharger librement mon cœur devant douze de mes collègues. Nous ne sommes pas en état de faire la guerre. Il faudrait insister près du roi pour l’amener à vouloir que la France ait une flotte, que la France ait une armée et que l’armée ait une réserve. Il faudrait en revenir au système du maréchal Saint-Cyr. Le service était de douze ans, six ans sous les drapeaux, six ans dans la réserve. Lisez le rapport que fit le maréchal à la Chambre des pairs à cette occasion. Ce fameux discours qui le fit surnommer l’orateur-ministre. Soit dit en passant, j’avais commandé ce discours à M. Guizot, qui le fit en une nuit. — Ne croyez pas aux gardes nationales mobiles. Ce serait un million d’hommes, dit-on. Un million d’hommes sur le papier. Un million d’hommes qui n’aurait pas de jambes et qui ne marcherait pas. — (J’interromps : — Si ! ils auraient des jambes ! j’en ai peur, du moins. — Il se tourne vers moi :) — En 1840, le duc d’Orléans me disait : — Duc Decazes, nous sommes à la guerre. Je commanderai un corps d’armée. Je voudrais avoir de la garde nationale avec moi. Pensez-vous qu’il m’en vienne ? — Je lui ai dit : — Quand Votre Altesse en aurait dix mille ! — Ce serait un beau succès, me dit-il. — Eh bien, qu’est-ce que dix mille hommes ?

  1. Dès octobre 1846, le cabinet de Londres, à la tête duquel se trouvait lord Palmerston, s’appliquait à contrecarrer ouvertement la politique française dans toute l’Europe. Sa mauvaise humeur avait été provoquée par les mariages espagnols conclus en dépit de l’Angleterre, qui avait d’autres visées. En effet, Louis-Philippe avait négocié le mariage d’Isabelle II, reine d’Espagne, avec D. François d’Assise, et marié son fils, le duc de Montpensier, à l’infante Louise, sœur de la reine d’Espagne. (Note de l’éditeur.)