Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/197

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me pria de lui permettre de m’accompagner lui-même dans la visite que je voulais faire.

L’avant-greffe communiquait par une grille avec une vaste, longue et large galerie voûtée.

— Qu’est cela ? dis-je à M. Lebel.

— Monsieur, me dit-il, c’était jadis une dépendance des cuisines de saint-Louis. Cela nous a été bien utile dans les émeutes. Je ne savais que faire de mes prisonniers. M. le préfet de police m’envoie demander : — Avez-vous beaucoup de place en ce moment ? Combien pouvez-vous loger de détenus ? — Je réponds : — J’en puis loger deux cents. — On m’en envoie trois cent cinquante, et l’on me dit : — Combien pouvez-vous en loger encore ? — Je crus qu’on se moquait. Cependant je fis de la place en employant l’infirmerie des femmes. — Vous pouvez, dis-je, m’envoyer cent détenus. — On m’en envoie trois cents. Pour le coup, j’étais mécontent, et l’on me dit : — Combien pouvez-vous en caser encore ? — Maintenant, ai-je répondu, tant que vous voudrez. — Monsieur, on m’en a envoyé six cents ! Je les ai mis ici. Ils couchaient à terre sur des bottes de paille. Ils étaient fort exaltés. L’un d’eux, Lagrange, le républicain de Lyon, me dit : — Monsieur Lebel, si vous voulez me laisser voir ma sœur, je vous promets de faire faire silence dans la chambrée. — Je lui laissai voir sa sœur, il tint parole, et ma chambrée de six cents diables devint comme un petit paradis. Mes gens de Lyon furent sages ainsi et charmants jusqu’au jour où, la cour des pairs ayant évoqué l’affaire, on les mit en contact dans l’instruction avec les émeutiers de Paris qui étaient à Sainte-Pélagie. Ceux-ci leur dirent : — Êtes-vous fous d’être tranquilles comme cela ? Mais il faut se plaindre, il faut crier, il faut être furieux ! — Voilà mes lyonnais furieux, grâce aux parisiens. Des satans ! Ah ! j’ai eu bien de la peine ! Ils me disaient : — Monsieur Lebel, ce n’est pas à cause de vous, mais à cause du gouvernement. Nous voulons montrer les dents au gouvernement. — Et Reverchon se déshabillait, et se mettait tout nu.

— Il appelait cela montrer les dents ? dis-je à M. Lebel.

Cependant le guichetier avait ouvert la grande grille du fond de la voûte, puis d’autres grilles et de lourdes portes, et je me trouvais au cœur de la prison.

Je voyais, à travers des ogives grillées, le préau des hommes. C’était une assez grande cour oblongue dominée de toutes parts par les hautes bâtisses de saint-Louis, aujourd’hui plâtrées et déformées.

Des hommes s’y promenaient par groupes de deux ou trois ; d’autres étaient assis dans des coins, sur des bancs de pierre qui font le tour de la cour. Presque tous avaient des habits de prison, grosses vestes, pantalons de toile ; deux ou trois pourtant étaient en redingote.