Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/206

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mauvais goût de la restauration. L’entrée du cachot avait été remplacée par une archivolte percée dans le mur. Le passage voûté par où la reine montait au tribunal avait été muré. Il y a un vandalisme respectueux plus révoltant encore que le vandalisme haineux, parce qu’il est niais. On ne voyait plus rien là de ce qui était sous les yeux de la reine, si ce n’est un peu du pavé que le plancher heureusement ne couvrait pas tout entier. Ce pavé était un antique carrelage chevronné de briques scellées de champ et montrant le petit côté.

Une chaise de paille posée sur l’estrade marquait la place où avait été le lit de la reine.

En sortant de ce lieu vénérable profané par une piété bête, j’entrai dans une grande salle, à côté, qui avait été la prison des prêtres pendant la Terreur et dont on avait fait la chapelle de la Conciergerie. C’était fort mesquin et fort laid, comme la chapelle-prison de la reine. Le tribunal révolutionnaire tenait ses séances au-dessus de cette salle.

Tout en circulant dans les profondeurs du vieil édifice, j’apercevais çà et là, par des soupiraux, d’immenses caves, des halles mystérieuses et désertes, avec des herses s’ouvrant sur la rivière, des galetas effrayants, des passages noirs. Dans ces cryptes abondaient les toiles d’araignée, les pierres moussues, les lueurs livides, les choses vagues et difformes. Je demandais à M. Lebel : — Qu’est-ce que ceci ? — Il me répondait : — Cela ne sert plus.

À quoi cela avait-il servi ?

Nous dûmes repasser par le préau des hommes. En le traversant, M. Lebel me fit remarquer un escalier près des latrines. C’est là que s’était pendu peu de jours auparavant, aux barreaux de la rampe, un assassin, nommé Savoye, qu’on venait de condamner aux galères.

— Les jurés se sont trompés, avait dit cet homme ; je devais être condamné à mort. J’arrangerai cela.

Il « arrangea cela » en se pendant.

Il était particulièrement confié à un détenu qu’on avait élevé à la fonction de gardien pour le surveiller, et que M. Lebel cassa.

Pendant que le directeur de la Conciergerie me donnait ces détails, un prisonnier assez bien vêtu s’approcha de nous. Il paraissait désirer qu’on lui parlât ; je lui fis quelques questions. C’était un gascon, qui avait été ouvrier brodeur et passementier, puis aide de l’exécuteur des hautes-œuvres de Paris, ce qu’on appelait jadis « valet de bourreau », puis enfin, disait-il, palefrenier dans les écuries du roi.

— Monsieur, me dit-il, je vous prie, demandez à M. le directeur qu’on ne me mette pas l’habit de la prison et qu’on me laisse mon fainéant.