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d’un des lits pourtant, à côté de la paire de bottes qui ne manquait à aucun, il y avait un monceau de livres. Je le remarquai ; on me l’expliqua. C’était la bibliothèque d’un gardien nommé Peiset, duquel Lacenaire avait fait un lettré. Cet homme, voyant Lacenaire lire et écrire sans cesse, l’avait admire, puis consulté. Il n’était pas sans idées ; Lacenaire lui avait conseillé de s’instruire ; quelques-uns des livres qui étaient là étaient des livres de Lacenaire ; Lacenaire les lui avait donnés, Peiset avait acheté quelques autres bouquins sur le quai ; il prenait l’avis de Lacenaire qui lui disait : Lisez ceci, ne lisez pas cela. Peu à peu le geôlier était devenu un penseur, et c’est ainsi qu’une intelligence s’était éveillée et ouverte à ce souffle hideux.

On ne pouvait entrer dans l’autre chambre que par une porte sur laquelle on lisait cette inscription : Passage réservé à M. le directeur. M. Lebel me l’ouvrit fort gracieusement, et nous nous trouvâmes dans son « salon ».

Cette chambre était, en effet, transformée en salon du directeur. Elle était presque identiquement pareille à l’autre, mais autrement décorée. C’était une chose bizarre que ce salon avec son arrangement. L’architecture de saint-Louis, un lustre qui venait d’Ouvrard, d’affreux papier peint dans les ogives, un bureau d’acajou, des meubles à housse de toile écrue, un vieux portrait de magistrat sans châssis et sans cadre cloué à même sur le mur et de travers, des gravures, des paperasses, une table qui ressemblait à un comptoir ; toute cette chambre ainsi meublée tenait du palais, du cachot et de l’arrière-boutique. Cela était patibulaire, magnifique, laid, bête, sinistre, royal et bourgeois.

C’était dans cette chambre qu’étaient admis les visiteurs des prisonniers privilégiés. Du temps de sa détention, qui avait laissé beaucoup de traces à la Conciergerie, M. Ouvrard y recevait ses amis. Le prince de Berghes y recevait sa femme et sa mère.

— Qu’est-ce que cela me fait qu’ils aient leurs visites ici ? me dit M. Lebel. Ils se croient dans un salon et ils n’en sont pas moins en prison.

Le brave homme avait l’air profondément convaincu que Mme  la duchesse et Mme  la princesse de Berghes devaient se croire là dans un salon.

C’était là aussi que M. le chancelier duc Pasquier avait coutume de faire les premiers actes des instructions qui lui étaient confiées, pour les procès devant la cour des pairs.

L’appartement du directeur communiquait avec ce salon. C’était tort chétif et fort laid. L’espèce de bouge qui lui servait de chambre à coucher ne recevait de jour et d’air, à ce qu’il me sembla, car je passai rapidement, que par les portes. C’était propre, mais de cette propreté qui sent la vétusté, avec toutes sortes d’encombrements dans les coins, et de vieux petits meubles, et toutes ces minuties qui caractérisent les chambres de vieillards. La salle