Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/222

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parlait des dragons qui la poursuivaient dans la montagne et des balles qui venaient trouer ses jupes ?

À l’époque de la naissance de M. Guizot, 89 n’avait pas encore refait l’état civil des protestants. Ils étaient hors la loi. Ce qui fait que M. Guizot est né légalement bâtard. Il n’a été inscrit, en venant au monde, sur aucun registre, et ne pourrait prouver sa qualité de citoyen français.


M. Guizot. — Eh bien, nous allons recommencer les luttes.

Moi. — Vous ne craignez rien à notre Chambre ?

M. Guizot. — Non. L’opposition me fait dire qu’elle me harcèlera peu. Excepté M. de Boissy, qui ne m’a prévenu de rien de ce qu’il fera. — M. de Montalembert parlera sur Cracovie. Mais nous aurons un paragraphe dans le discours du trône qui, j’espère, ne laissera rien à dire.

Moi. — Et vous ferez bien. Quant à moi, voici mon sentiment. Si la Chambre eût été en session à l’époque de l’événement de Cracovie, j’eusse pris la parole, et j’eusse dit : — Je demande la permission de féliciter la France. Supprimer Cracovie, c’est nous rendre le Rhin. Les traités de 1815 ne sont plus. Ces traités ont été faits contre nous, on les viole contre nous, on les violera encore contre nous ; la dernière violation sera pour nous. Je félicite la France et je glorifie la Pologne.

M. le vicomte de Flavigny. — Soit. Mais n’est-ce pas un malheur que des gouvernements…

M. de Lagrenée. — Des gouvernements monarchiques !…

M. de Flavigny. — … donnent l’exemple de l’infraction des traités et de la violation du droit des gens ?…

Moi. — Cela n’a rien de nouveau. M. Guizot, qui est un grand historien, sait mieux que nous que rien n’est plus fréquent dans l’histoire de l’Europe. Tous les gouvernements ont de tout temps violé tous les droits, à commencer par le droit des gens. Les canons s’appelaient l’ultima ratio. Qui a force a droit, voilà quelle était la maxime ; les petits états dévorés par les grands ; les poules mangées par les renards ; les renards mangés par les loups ; les loups mangés par les lions, voilà quelle était la pratique. Ce qui est une nouveauté, c’est le respect du droit. Ceci est l’honneur de la civilisation du xixe siècle de vouloir que le faible soit respecté par le fort, et que la morale éternelle soit au-dessus des piques et des mousquets. Les trois puissances qui ont détruit Cracovie ont fait une faute, non en ce qu’elles auraient violé la tradition des siècles passés, mais parce qu’elles ont outragé l’esprit du temps présent.

M. Guizot. — C’est juste.

M. de Flavigny. — Mais l’histoire des papes, pourtant...