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XI


1847.

La voiture de cérémonie de Louis-Philippe était une grosse berline bleue traînée par huit chevaux ; l’intérieur était de damas jaune d’or ; il y avait sur les portières le chiffre couronné du roi et sur les panneaux des couronnes royales. Huit petites couronnes d’argent appliquées à fleur de l’impériale faisaient le tour de la voiture. Il y avait un immense cocher sur le siège, et trois laquais derrière, tous en bas de soie, avec la livrée tricolore des d’Orléans.

Le roi montait le premier, et s’asseyait dans le coin à droite. Après lui, M. le duc de Nemours, qui s’asseyait près du roi ; les trois autres princes montaient ensuite, et s’asseyaient, M. de Joinville en face du roi, M. de Montpensier en face de M. de Nemours, M. d’Aumale au milieu.

Le jour des séances royales, les grandes dépurations des deux Chambres, douze pairs et vingt-cinq députés tirés au sort, allaient attendre le roi sur le grand escalier du palais Bourbon. Comme c’était presque toujours l’hiver, il faisait un froid violent sur cet escalier, un vent de bise faisait frissonner tous ces vieillards, et il y a de vieux généraux de l’empire qui n’étaient pas morts d’avoir été à Austerlitz, à Friedland, au cimetière d’Eylau, à la grande redoute de la Moskowa, à la fusillade des carrés écossais de Waterloo, et qui sont morts d’avoir été là.

Les pairs étaient à droite, les députés à gauche, debout, laissant libre le milieu de l’escalier. L’escalier était cloisonné de tentures de coutil blanc rayé de bleu, qui garantissaient fort mal du vent. Où sont les bonnes et magnifiques tapisseries de Louis XIV. Cela était royal ; on y a renoncé. Le coutil est bourgeois, et plaît mieux aux députés. Il les charme, et les gèle. La reine arrivait la première avec les princesses, sans Mme  la duchesse d’Orléans qui venait à part avec M. le comte de Paris. Ces dames montaient l’escalier rapidement, saluant à droite et à gauche, sans parler, mais gracieusement, suivies d’une nuée d’aides de camp et de ces vieilles farouches enturbannées que M. de Joinville appelait les turcs de la reine ; Mme  de Dolossieu, de Chanaleilles, etc.

À la séance royale de 1847, la reine donnait le bras à Mme  la duchesse de Montpensier. La princesse était emmitouflée à cause du froid. Je n’ai vu qu’un gros nez rouge. Les trois autres princesses marchaient derrière et causaient en riant toutes trois. M. Anatole de Montesquiou venait ensuite en uniforme de maréchal de camp fort usé.

Le roi arrivait quelque cinq minutes après la reine ; il montait plus rapidement encore qu’elle, suivi des princes courant comme des écoliers, et