Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de médecine, dont j’ai oublié le nom. Ce certificat constate « une grave maladie chirurgicale » (la fistule) pour laquelle Pellapra serait « en traitement » et aurait déjà subi « plusieurs opérations douloureuses ».

Le chancelier a repris la parole et rappelé à la cour son usage (très contestable) de n’adresser de questions que par l’intermédiaire du président.

Comme nous entrions en séance, Montalembert m’a abordé et m’a dit : — Voici ce que vient de me conter le général Prével. Il y a trois jours, dimanche, le général traversait les Tuileries donnant le bras à un conseiller d’État de ses amis, M. Amédée Thierry, le frère de l’écrivain. Sous les marronniers, il aperçut un vieillard qui se promenait et qui vint droit à lui. C’était Pellapra. Le général, un peu embarrassé de la rencontre, voulait tourner court ; Pellapra ne lui en laissa pas le temps et l’apostropha d’un bonjour brusque en ajoutant : — Mon général, voulez-vous gagner dix mille francs ? — Non, dit le général assez bourrument, pas avec vous. — Bah ! reprit Pellapra en riant, je vous les donne et j’en donne autant à Monsieur que je ne connais pas, dit-il en désignant M. Amédée Thierry, si vous pouvez me prouver l’un ou l’autre que j’ai mis cinq sous dans ma poche dans l’affaire qui m’amène jeudi devant la cour des pairs !

Il s’est évadé le lendemain pendant la fête du parc des Minimes.




Le soir du jour où les pairs instructeurs se déterminèrent à mettre M. Teste en prévention, le hasard voulut que le chancelier dût se rendre à Neuilly avec le bureau de la chambre pour porter au roi une loi votée.

Le chancelier et les pairs du bureau (parmi lesquels était le comte Daru) trouvèrent le roi furieux. Il savait la mise en prévention de M. Teste. Du plus loin qu’il les aperçut, il marcha vivement à eux :

— Comment, Monsieur le chancelier, s’écria-t-il, vous n’aviez pas assez d’un de mes anciens ministres ! il vous en a fallu un second ! Vous prenez Teste à présent ! Ainsi, j’ai passé dix-sept ans à relever le pouvoir en France ; en un jour, en une heure, vous le faites retomber ! Vous détruisez l’ouvrage de tout mon règne ! vous avilissez l’autorité, la puissance, le gouvernement ! Et vous faites cela, vous, Chambre des pairs ! — Etc.

La bourrasque fut violente. Le chancelier fut très ferme. Il tint résolument tête au roi. Il dit que sans doute il fallait consulter la politique, mais qu’il fallait aussi écouter la justice ; que la Chambre des pairs avait, elle aussi, son indépendance comme pouvoir législatif, et sa souveraineté comme pouvoir judiciaire ; que cette indépendance et cette souveraineté devaient être respectées, et au besoin se feraient respecter ; que d’ailleurs, dans l’état où était