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10 juillet.

Voici où j’en suis après les deux premières journées :

J’ai parlé à M. le général Cubières quatre ou cinq fois dans ma vie, à M. le président Teste une fois seulement, et pourtant, dans cette affaire, je m’intéresse à leur sort comme s’ils étaient pour moi des amis de vingt ans — des frères. Pourquoi ? Je le dis tout de suite : C’est que je les crois innocents.

Je les crois est trop faible ; en ce moment, je les vois innocents. Cela changera peut-être, car cette affaire remue comme une onde et change d’aspect à chaque instant ; mais à cette heure, après bien des perplexités, après bien des transitions, après bien des passages douloureux, où ma conscience a plus d’une fois frémi et frissonné, dans ma conviction, M. le général Cubières est innocent du fait de l’escroquerie, M. le président Teste est innocent du fait de la corruption.

Qu’est-ce donc que cette affaire ? Pour moi, elle se résume en deux mots : courtage et chantage ; courtage prélevé par Pellapra, chantage exercé par Parmentier. Le courtage, entaché de dol et d’escroquerie, a produit le fait incriminé ; le chantage a produit le scandale. De là tout le procès.

Je n’ai nul goût pour la culpabilité qui ne m’est pas invinciblement démontrée. Mon penchant est de croire à l’innocence. Tant qu’il reste dans les probabilités de la cause un refuge possible à l’innocence des accusés, toutes mes hypothèses, je ne dis pas y inclinent, mais s’y précipitent.


4e journée. — Dimanche, 11 juillet.

Il y a suspension aujourd’hui. La première audience a été employée à la lecture de l’acte d’accusation ; la seconde et la troisième, avant-hier et hier, à l’interrogatoire des accusés.

Au commencement de l’audience de vendredi, ont été lues des lettres communiquées inopinément par MM. Léon de Malleville et Marrast et qui semblent jeter une vive lueur sur ce procès. Les accusés avaient été arrêtés la veille au soir. Ils sont arrivés à l’audience pâles, défaits ; Parmentier, pourtant, l’air plus assuré que les deux autres.

M. Teste a écouté la lecture des nouvelles pièces, le coude sur sa table et se cachant à demi le visage dans sa main ; le général Cubières les yeux baissés ; Parmentier avec un embarras visible.

L’interrogatoire a commencé par le général.

M. Cubières a une figure pouparde, le regard indécis, la parole hésitante, les joues colorées ; je le crois innocent de l’escroquerie ; cependant aucun cri