Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/278

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du cœur. Pendant l’interrogatoire, il était debout, et frappait la table avec la pointe d’un couteau de bois, très doucement et comme en cadence, geste de profonde tranquillité. Le procureur général, M. Delangle, avocat assez médiocre, a été insolent avec lui deux ou trois fois ; Cubières, soldat de Waterloo, n’a pas trouvé une parole pour le souffleter. J’en souffrais pour lui. Dans l’opinion de la cour, il est déjà condamné.

Pendant la suspension de l’audience, Montalembert me disait : — Vous avez une mauvaise place, loin de la tribune, ce qui force les pairs à se retourner quand vous parlez. Vous devriez vous rapprocher de nous. Tenez, Cubières avait une place excellente, à gauche, un peu au-dessus de moi. Il ne reviendra pas, prenez-la. — C’est égal, je ne la prendrai pas.

La première partie de l’interrogatoire a paru mal conduite. Il n’y avait qu’un cri à la buvette. Le chancelier est un vieillard remarquable et rare, mais enfin il a quatre-vingt-deux ans. À quatre-vingt-deux ans, on n’affronte ni une femme ni une foule.

Parmentier, interrogé après le général, a parlé avec aisance et une sorte de faconde vulgaire qui était quelquefois l’esprit, souvent la logique, toujours l’adresse, jamais l’éloquence. C’est un homme qui est naïvement un gueux. Il ne s’en doute pas. C’est une âme difforme qui est impudique, et qui étale ses nudités comme ferait Vénus. Repoussant spectacle qu’un crapaud qui se croit beau. On le huait. D’abord il n’entendait ou ne comprenait pas ; il a cependant fini par comprendre ; alors la sueur a perlé sur son visage, par instants, au milieu des marques de dégoût de l’assemblée, il essuyait avec anxiété son front chauve et ruisselant, il regardait autour de lui avec une sorte de supplication et d’égarement, se sentant perdu, et cherchant à se raccrocher, et cependant il continuait de parler et d’exposer ses laideurs, et les murmures couvraient sa parole, et son angoisse croissait. En ce moment-là, ce misérable m’a fait pitié.

M. Teste, interrogé hier, a parlé comme un homme innocent et m’a fait revenir de loin à son sujet. Il a été souvent et grandement éloquent. Ce n’était pas un avocat ; c’était un homme vrai qui souffrait, qui arrachait ses entrailles, et qui les jetait là, sous les yeux de ses juges, en disant : Voyez ! Souvent même c’était un homme noble. Il m’a ému profondément. Pendant qu’il parlait, il m’est apparu cette lueur que toute l’affaire pouvait s’expliquer par une escroquerie de Pellapra.

Teste a soixante-sept ans, l’accent méridional, la bouche grande et expressive, un pli profond de douleur à la joue droite, le front chauve et intelligent, l’œil profondément enfoncé et par instants lumineux ; toute l’habitude du corps affaissée, accablée et pourtant énergique.

Il s’agitait, se démenait, haussait les épaules, souriait amèrement, prenait