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lus. » On n’avait pas Monte-Cristo à la bibliothèque de la Chambre des pairs ; on l’a fait louer dans un cabinet de lecture qui ne l’avait que par liasses de feuilletons. Teste passe son temps à lire ces liasses, et est fort calme. M. Dupin a ajouté après un silence : Ceci achève de peindre l’homme.

— Êtes-vous sûr de tout cela ? ai-je dit.

Mon voisin, M. le duc de Brancas, qui est un bon et noble vieillard, m’a dit :

— Ne vous opposez plus à la condamnation. C’est la justice de Dieu qui se fait.

Au moment, hier soir, où l’on est venu dire au général Cubières que Teste s’était tiré deux coups de pistolet, le général a pleuré amèrement.

Je remarque que c’est aujourd’hui une date fatale, 13 juillet.

La place de Teste est vide à l’audience.

Le greffier La Chauvinière lit les pièces. M. Cubières écoute avec un air de profonde tristesse, puis se couvre les yeux de sa main. Parmentier tient la tête constamment baissée. Les faits d’hier, la tentative de suicide de Teste et sa lettre au chancelier détruisent radicalement tout l’abominable système de Parmentier.

On remarque autour de moi que le valet de chambre de Teste qui était avec lui dans la prison s’appelle Poignard. Il était au service de Teste depuis six ans.

À une heure dix minutes, le procureur général Delangle prend la parole. Il dit à deux reprises, au milieu de l’émotion : Messieurs les pairs… puis s’arrête et reprend : Le procès est fini. Le procureur général n’a parlé que dix minutes.

Une particularité, c’est que Teste et Delangle se sont toute leur vie côtoyés ; Delangle suivant Teste, et, à la fin, le poursuivant. Teste a été bâtonnier des avocats, Delangle l’a été immédiatement après lui. Teste est nommé président de chambre à la cour de cassation, Delangle entre à la même chambre comme avocat général. Teste est accusé, Delangle est procureur général.

Le mouvement du père et du fils, que je notais hier au moment de la production des pièces du Trésor, m’est maintenant expliqué ; le père disait au fils : — Donne-moi les pistolets. — Le fils les a remis, puis il a laissé tomber sa tête dans ses mains.

Il me semble que cette sombre tragédie a dû se passer ainsi.

Pendant que l’avocat de Parmentier parlait, Cubières ôtait et remettait paisiblement une bague qu’il avait à la main gauche.

Dans la suspension d’audience, le colonel Poizat, commandant du palais, a dit à un pair, le baron Feutrier, que Pellapra allait arriver ; qu’on lui avait envoyé, sur sa réclamation, des saufs-conduits.