Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/329

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l’agitation, l’anxiété, une attente fiévreuse. Partout on travaille activement aux barricades déjà formidables. C’est plus qu’une émeute, cette fois, c’est une insurrection. Je rentre. Un soldat de la ligne, en faction à l’entrée de la place Royale, cause amicalement avec la vedette d’une barricade construite à vingt pas de lui.


Huit heures un quart. — M. Ernest Moreau est revenu de l’Hôtel de Ville. Il a vu M. de Rambuteau et rapporte des nouvelles un peu meilleures. Le roi a chargé Thiers et Odilon Barrot de former un ministère. Thiers n’est pas bien populaire, mais Odilon Barrot, c’est la Reforme. Par malheur, la concession s’aggrave d’une menace : le maréchal Bugeaud est investi du commandement général de la garde nationale et de l’armée. Odilon Barrot, c’est la Réforme, mais Bugeaud, c’est la répression. Le roi tend la main droite et montre le poing gauche.

Le préfet a prié M. Moreau de répandre et de proclamer ces nouvelles dans son quartier et au faubourg Saint-Antoine. — C’est ce que je vais faire, me dit le maire. — Bien ! dis-je, mais croyez-moi, annoncez le ministère Thiers-Barrot et ne parlez pas du maréchal Bugeaud. — Vous avez raison.


Le maire requit une escouade de la garde nationale, prit avec lui les deux adjoints et les conseillers municipaux présents et descendit sur la place Royale. Un roulement de tambours amassa la foule. Il annonça le nouveau cabinet. Le peuple applaudit aux cris répétés de : — Vive la Réforme ! Le maire ajouta quelques mots pour recommander l’ordre et la concorde et fut encore universellement applaudi. — Tout est sauvé ! me dit-il en me serrant la main. — Oui, dis-je, si Bugeaud renonce à être le sauveur.

M. Ernest Moreau, suivi de son escorte, partit pour répéter sa proclamation place de la Bastille et dans le faubourg, et je montai chez moi pour rassurer les miens.


Une demi-heure après, le maire et son cortège rentraient émus et en désordre à la mairie. Voici ce qui s’était passé :

La place de la Bastille était occupée, à ses deux extrémités, par la troupe, qui s’y tenait l’arme au bras, immobile. Le peuple circulait librement et paisiblement entre les deux lignes. Le maire, arrivé au pied de la colonne de Juillet, avait fait sa proclamation et, de nouveau, la foule avait chaleureusement applaudi. M. Moreau se dirigea alors vers le faubourg Saint-Antoine. Au même moment, des ouvriers accostaient amicalement les soldats, leur disant : Vos armes, livrez vos armes. Sur l’ordre énergique du