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— Mon bon vieux, je ne te parlerai pas politique, on ne nous dit rien. Paf sait quelque chose, mais il est à Vincennes.

Paf était le sobriquet de M. de Montpensier. Chaque prince de la famille avait le sien.




Rue Saint-Anastase. — Un groupe d’hommes et de femmes, violon en tête, sautait et dansait en poussant toutes sortes de cris de joie devant un poste de minuit. Un gamin criait :

— Vivent les propriétaires qui font grâce de leur terme aux locataires !

Il s’interrompit et dit : Cré coquin, j’ai la gorge sec !




6 avril.

Un marmot de trois ans chantait Mourir pour la patrie. Sa mère lui demande :

— Sais-tu ce que c’est que cela, mourir pour la patrie ?

— Oui, dit l’enfant, c’est se promener dans la rue avec un drapeau.




Cette nuit quatre hommes ont traversé le faubourg Saint-Antoine portant un drapeau noir avec cette inscription : Guerre aux riches. Ils ont été arrêtés par une patrouille de garde mobile commandée par un jeune capitaine de dix-huit ans appelé Baudoin. Le drapeau était fait avec un jupon de femme.




[L’ÉGALITÉ DES RACES.]


Mai [1848].

La proclamation de l’abolition de l’esclavage se fit à la Guadeloupe avec solennité. Le capitaine de vaisseau Layrle, gouverneur de la colonie, lut le décret de l’Assemblée du haut d’une estrade élevée au milieu de la place publique et entourée d’une foule immense. C’était par le plus beau soleil du monde.

Au moment où le gouverneur proclamait l’égalité de la race blanche, de la race mulâtre et de la race noire, il n’y avait sur l’estrade que trois hommes, représentant pour ainsi dire les trois races, un blanc, le gouverneur, un mulâtre qui lui tenait le parasol, et un nègre qui lui portait son chapeau.