Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/380

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Quelques tables, une armoire et quelques fauteuils bleus et verts en désordre encombraient plus qu’ils ne meublaient cette chambre.

Le salon voisin, dont les meubles étaient cachés par des housses de toile écrue, n’avait rien de remarquable qu’un buste en marbre de Henri V posé sur la cheminée. En avant de ce buste une statuette de M. de Chateaubriand en pied. Des deux côtés d’une fenêtre, Mme de Berri et son fils enfant, en plâtre.

M. de Chateaubriand ne disait rien de la République, sinon : Cela vous fera-t-il plus heureux ?




Les obsèques de M. de Chateaubriand se firent le 8 juillet 1848, précisément au jour anniversaire de cette seconde rentrée de Louis XVIII en 1815 à laquelle il avait puissamment contribué. Je dis les obsèques et non l’enterrement, car M. de Chateaubriand avait depuis longtemps son tombeau bâti d’avance à Saint-Malo sur un rocher au milieu de la mer.

Paris était comme abruti par les journées de Juin, et tout ce bruit de fusillades, de canon et de tocsin qu’il avait encore dans les oreilles l’empêcha d’entendre, à la mort de M. de Chateaubriand, cette espèce de silence qui se fait autour des grands hommes disparus. Et puis c’était le troisième enterrement depuis trois jours, la veille, l’archevêque[1] ; l’avant-veille, les victimes de Juin.

Il y eut peu de foule et une émotion médiocre aux obsèques de M. de Chateaubriand. La cérémonie se fit à la chapelle-église des Missions étrangères, rue du Bac, à quelques pas de la maison que M. de Chateaubriand habitait.

L’église des Missions, étroite, petite, laide, tendue de noir à mi-mur ; au milieu de l’église, un cénotaphe de bois couleur bronze surmonté d’un drap de velours noir à croix blanche semé d’étoiles d’argent ; aux quatre coins du cénotaphe, quatre candélabres de bois bronze et argenté portant une flammèche verte qui s’éteignit avant la fin ; deux rangées de cierges sur les degrés du catafalque ; aucun insigne ; pour toute famille des collatéraux ; quelques centaines de personnes ; Cousin en noir. Ampère avec l’habit de l’Institut, Villemain avec la plaque, M. Molé en redingote, sept femmes dans les tribunes hautes, un peu de peuple sous l’orgue, l’évêque de Quimper dans le

  1. Mgr Affre, tué devant les barricades du faubourg Saint-Antoine, le 24 juin 1848. (Note de l’éditeur.)