Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/401

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’Assemblée a un aspect sombre. Huit heures sonnent avec le bruit lugubre d’un tocsin.

La salle est à peine éclairée. On distingue sous le premier lustre la tête vénérable et accablée d’Arago et, près de lui, le profil doux, calme et sévère de Lamartine.

Cavaignac est à sa place, le premier sur le banc des ministres de gauche, séparé de Goudchaux et de Marie par son chapeau posé sur le banc des ministres.

Caussidière et Ledru-Rollin ne sont pas encore arrivés.


Louis Blanc prend la parole.

Comme je traversais le parquet de la Chambre, Lamartine m’a appelé. Il était assis, causant avec Vivien debout. Il m’a dit : — Que me conseillez-vous ? Faut-il que je parle ou que je me taise ?

Je lui ai dit : — Ne parlez pas. Gardez le silence. Vous êtes peu en cause. Tout cela s’agite en bas. Restez en haut.

Il a repris : — C’est bien mon avis.

— C’est aussi le mien, a dit Vivien.

— Ainsi, a reparti Lamartine, je ne dirai rien.

Il a repris, après un silence :

— À moins que la discussion ne vienne à moi et ne m’égratigne.

J’ai répondu : — Pas même dans ce cas-là, croyez-moi. Ayons des cris de douleur pour les plaies de la France, et non pour nos égratignures.

— Merci, a dit Lamartine. Vous avez raison.

Et je suis retourné à mon banc.


Pendant une interruption causée parce que Louis Blanc s’est mis en parallèle avec Lamartine, Caussidière arrive, monte au bureau du président, et cause un moment avec Marrast ; puis il va à sa place.

On aperçoit un homme en manches de chemise, un curieux, qui s’est juché sur le plafond même de l’Assemblée, près du trou d’un lustre, et qui écoute et regarde de là.

L’abbé Fayet, évêque d’Orléans, et le général Lamoricière, ministre de la guerre, viennent s’asseoir au banc des ministres, à côté de MM. Goudchaux et Marie.

Vers la fin du discours de Louis Blanc, le colonel de Ludre, qui est venu s’asseoir à côté de moi, et mon autre voisin, M. Archambault, s’endorment profondément au milieu de l’agitation de l’Assemblée.

Louis Blanc a parlé une heure quarante minutes. Il a terminé éloquemment et par une protestation qui m’a paru venir du cœur.