Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/415

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Hilaire. L’Assemblée essaya de l’accabler lui aussi, mais il se redressa sous les murmures. Il invoqua son passé, attesta les souvenirs de la salle Voisin, compara les séides de Cavaignac aux séides de Guizot, montra sa poitrine « qui avait affronté les poignards de la République rouge », et finit par attaquer résolument le général, avec trop peu de faits et trop de paroles, mais de front et comme la Bible veut qu’on prenne le taureau, par les cornes. Garnier-Pagès releva l’accusation presque terrassée. Il mêla trop souvent son moi à la discussion ; il eut tort, car toute personnalité doit s’effacer devant la gravité du débat et l’anxiété du pays. Il se tourna de tous les côtés avec une sorte de furie désolée ; il somma Arago d’intervenir, Ledru-Rollin de parler, Lamartine de s’expliquer. Tous trois gardèrent le silence, manquant à la fois au devoir et à la destinée.

L’Assemblée, cependant, poursuivait Garnier-Pagès de ses huées, et, quand il dit à Cavaignac : — Vous avez voulu nous jeter par terre ! elle éclata de rire, et à cause du sentiment et à cause de l’expression. Garnier-Pagès la regarda rire avec un air désespéré.

On criait de toute part : — La clôture !

L’Assemblée était à ce moment où elle ne voulait plus écouter et où elle ne pouvait plus entendre.


M. Ledru-Rollin parut à la tribune.

Ce cri éclata sur tous les bancs : — Enfin !

On fit silence.

Ledru-Rollin, espèce de Danton bâtard, appuyant sur la tribune son gros ventre boutonné, avait le son de voix enroué de Pétion et le balancement d’épaules de Mirabeau sans son éloquence.

Sa parole avait une sorte d’effet physique ; grossier, mais puissant. Garnier-Pagès avait signalé les fautes politiques du général, Ledru-Rollin signala ses fautes militaires. Lui aussi occupa l’Assemblée de son moi, et la fit rire. M. Ledru-Rollin disait Ledru-Rollin comme César disait César. Cela réussissait quelquefois, mais pas toujours. Avec tout cela, quelque adresse d’avocat mêlée à la violence du tribun. Il termina par un vœu de clémence. Somme toute, il ébranla Cavaignac.

Quand il revint s’asseoir à son banc, à côté de Pierre Leroux et de La Mennais, un homme à longue chevelure grisonnante, en redingote blanche, traversa l’Assemblée et vint serrer la main à Ledru-Rollin. C’était Lagrange.


Cavaignac monta pour la quatrième fois à la tribune. Il était dix heures et demie du soir. On entendait les rumeurs de la foule et les évolutions de