Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/430

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blanche contre les canons à feu ; ils étaient toujours battus. Je vous accorde que c’était noble, vous m’accorderez que c’était bête.

Il me parla de l’empereur. — C’est ici, me dit-il, que je l’ai vu pour la dernière fois. Je n’ai pu rentrer dans ce palais sans émotion. L’empereur me fit amener et posa sa main sur ma tête. J’avais sept ans. C’était dans le grand salon d’en bas.

Puis Louis Bonaparte me parla de la Malmaison.

— On l’a respectée. Je l’ai visitée en détail, il y a six semaines. Voici comment. J’étais allé voir M. Odilon Barrot à Bougival. — Dînez avec moi, me dit-il. — Je veux bien. — Il était trois heures. — Qu’allons-nous faire en attendant le dîner ? — Allons voir la Malmaison, dit M. Barrot.

Nous partîmes. Nous étions tous deux seuls. Arrivés à la Malmaison, nous sonnâmes. Un portier vint ouvrir la grille. M. Barrot prit la parole : — Nous voudrions voir la Malmaison.

Le portier répondit : — Impossible.

— Comment ! impossible !

— J’ai des ordres.

— De qui ?

— De Sa Majesté la reine Christine, à qui est le château à présent.

— Mais monsieur est un étranger qui vient exprès.

— Impossible.

— Parbleu ! s’écria M. Odilon Barrot, il est curieux que cette porte soit fermée au neveu de l’empereur !

Le portier tressaillit et jeta son bonnet à terre. C’était un vieux soldat, auquel on avait fait cette retraite.

— Le neveu de l’empereur ! s’écria-t-il. Oh ! sire, entrez !

Il voulait baiser mes habits.

Nous visitâmes le château. Tout y est encore à peu près à sa place. J’y ai presque tout reconnu, le cabinet du premier consul, la chambre de ma mère, la mienne. Les meubles sont encore les mêmes dans beaucoup de chambres. J’ai retrouvé un petit fauteuil que j’avais quand j’étais enfant. —

Je dis au prince : — Voilà. Les trônes tombent, les fauteuils restent.

Pendant que nous causions, quelques personnes vinrent, entre autres M. Duclerc, l’ex-ministre des finances de la Commission exécutive, puis une vieille femme en velours noir que je ne connaissais pas, puis lord Normanby, ambassadeur d’Angleterre, que le prince emmena vivement dans un salon voisin. J’ai vu le même lord Normanby emmené de même par le roi Louis-Philippe.

Le prince dans son salon avait l’air timide et point chez lui. Il allait et venait d’un groupe à l’autre plutôt comme un étranger embarrassé que