Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/52

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tout est suspect à ces braves gardes nationaux. Je me souviens qu’à l’époque des émeutes d’avril 1834 je passais devant un poste de garde nationale ayant sous le bras un volume des œuvres du duc de Saint-Simon. J’ai été signalé comme saint-simonien, et j’ai failli être massacré.

Au moment où je rentrais chez moi, un escadron de hussards, tenu en réserve toute la journée dans la cour de la mairie, en est sorti brusquement et a défilé devant moi au galop, se dirigeant vers la rue Saint-Antoine. En montant mon escalier, j’entendais s’éloigner les pas des chevaux.


lundi 13 mai. Huit heures du matin.

Plusieurs compagnies de garde nationale sont venues s’ajouter à la troupe de ligne campée place Royale. Beaucoup d’hommes en blouse se promènent parmi les gardes nationaux, regardés et regardant d’un air soucieux. Un omnibus débouche par la rue du Pas-de-la-Mule. On lui fait rebrousser chemin.

Tout à l’heure mon frotteur, appuyé sur son balai, disait : Pour qui me mettrai-je ?

Il a ajouté un moment après :

— Quel chien de gouvernement ! on me doit trente francs, et je ne puis rien tirer des gens !

On bat le rappel.

Je déjeune en lisant les journaux. M. Duflot vient. Il était hier soir aux Tuileries. C’était la réception du dimanche ; le roi paraissait fatigué, la reine était triste.

Puis il s’est promené dans Paris. Il a vu rue du Grand-Hurleur un homme tué, un ouvrier, couché à terre, le front percé d’une balle, endimanché. C’était le soir. Il y avait à côté de lui une chandelle allumée. Le mort avait des bagues aux doigts, et sa montre dans son gousset d’où sortait un gros paquet de breloques.

Hier à trois heures et demie, aux premiers coups de fusil, le roi a fait appeler le maréchal Soult et lui a dit : — Maréchal, l’eau se trouble. Il faut pêcher des ministres.

Une heure après, le maréchal est venu chez le roi et lui a dit, en se frottant les mains, avec son accent méridional : — Cetté fois, sire, Jé crois qué nous férons notré coup.

Il y a, en effet, un ministère ce matin dans le Moniteur.


Midi. — Je sors. On entend la fusillade rue Saint-Louis. On a fait évacuer la place Royale aux hommes en blouse, et maintenant on ne laisse