Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/54

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La rue Saint-Louis est déserte. C’est l’aspect de la rue à quatre heures du matin en été : boutiques fermées, fenêtres fermées, personne, plein jour. Rue du Roi-Doré, les voisins causent sur leurs portes. Deux chevaux, dételés de quelque charrette dont on a fait une barricade, passent rue Saint-Jean-Saint-François, suivis du charretier tout désorienté. Un gros de garde nationale et de troupe de ligne semble embusqué au bout de la rue Saint-Anastase. — Je m’informe.

Il y a une demi-heure environ, sept ou huit jeunes ouvriers sont venus là, traînant des fusils qu’ils savaient à peine charger. C’étaient des adolescents de quatorze à quinze ans. Ils ont préparé leurs armes en silence au milieu des voisins et des passants qui les regardaient faire, puis ils ont envahi une maison où il n’y a qu’une vieille femme et un petit enfant. Là, ils ont soutenu un siège de quelques instants. La fusillade que j’ai essuyée était pour quelques-uns d’entre eux qui s’enfuyaient par la rue Saint-Claude.

Toutes les boutiques sont fermées, excepté celle du marchand de vin où les insurgés ont bu et où les gardes nationaux boivent.


Trois heures. — Je viens d’explorer les boulevards. Ils sont couverts de foule et de troupe. On entend des feux de peloton dans la rue Saint-Martin. Devant la fenêtre de Fieschi, j’ai vu passer un lieutenant général à cheval, en grand uniforme, entouré d’officiers et suivi d’un escadron de fort beaux dragons, le sabre au poing.

Il y a une manière de camp au Château-d’Eau. Les actrices de l’Ambigu sont sur le balcon de leur foyer qui regardent. Aucun théâtre des boulevards ne jouera ce soir.

Tout désordre a disparu rue Saint-Louis. L’émeute est concentrée aux Halles. Un garde national me disait tout à l’heure : — Ils sont là dans les barricades plus de quatre mille. — Je n’ai rien répondu à ce brave homme. Dans des moments comme celui-ci, tous les yeux sont verres grossissants.

Dans une maison en construction, rue des Cultures-Saint-Gervais, les maçons ont repris leurs travaux. On vient de tuer un homme rue de la Perle. Rue des Trois-Pavillons, je vois des jeunes filles qui jouent au volant.

Il y a rue de l’Écharpe un blanchisseur effarouché qui dit avoir vu passer des canons. Il en a compté huit.


Huit heures du soir. — Le Marais continue d’être assez calme. On me dit qu’il y a des canons place de la Bastille. J’y vais, mais je ne puis rien distinguer ; le crépuscule est trop sombre. Plusieurs régiments attendent là, silencieusement, infanterie et cavalerie. Le peuple se fait au spectacle des four-