Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/117

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mère », tomba dans les mains de Rattier. Il lut les premières lignes. C’était une lettre de famille, et il allait la rejeter, lorsqu’il s’aperçut que la feuille était double.

Il ouvrit presque machinalement cette feuille, et il eut comme l’impression d’un éclair dans les yeux. Son regard venait de tomber, en tête du second feuillet, sur ces mots écrits de la main de Hubert :


À Monsieur de Maupas, Ministre de la Police.

Monsieur le Ministre.


Suivait la lettre qu’on va lire ; une lettre signée Hubert.

« Monsieur le Ministre,

« J’ai reçu sous la date du 14 septembre dernier, dans le but de me faire rentrer en France, une lettre de M. le Préfet de l’Eure.

« J’ai écrit, les 24 et 30 du même mois, deux lettres à M. le Préfet ; elles sont toutes deux restées sans réponse.

« Depuis, j’ai vu mon nom figurer au Moniteur dans la liste faisant l’objet du décret du 5 février présent mois, mais je n’étais pas prêt à partir à cette époque, voulant finir, à Londres, une petite brochure, intitulée : les Proscrits républicains, et la République impossible par ces mêmes prétendus républicains. Cette brochure, pleine de vérités et de faits que personne ne peut nier, produira, je crois, un certain effet en France, où je désire la faire imprimer. J’ai fait viser hier mon passeport pour la France ; rien d’intéressant ne me retient donc plus en Angleterre, si ce n’est qu’avant de partir je désirerais savoir si l’on me donnera ce qui m’est dû, et que je réclame par ma lettre précitée du 30.

« M. le Préfet de l’Eure, qui était prié de communiquer cette lettre à qui de droit, a dû la faire parvenir au gouvernement ; j’en attends toujours la solution ; mais, voyant que, depuis tant de temps, je n’ai encore rien reçu, je me suis décidé à vous adresser cette lettre dans l’espoir d’obtenir un résultat immédiat.

« Voici mon adresse à Londres : (Angleterre, no 17, Church street, Soho square) ;

« Et mon nom : Hubert, Julien Damascène, géomètre-arpenteur, à Heuqueville, près les Andelys (Eure).

« Signé : Hubert. »
« Le 25 février 1853. »


Rattier leva les yeux et regarda Hubert.

Il avait quitté sa pipe ; la sueur perlait sur son front à grosses gouttes.

— Vous êtes un mouchard, dit Rattier.

Hubert, livide, tomba sur une chaise sans répondre un mot.

Les membres de la commission firent une liasse des papiers, et allèrent immédiatement rendre compte du résultat à la société la Fraternité qui tenait séance en ce moment.

C’est dans ce trajet que je les rencontrai.