Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/127

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cris de mort que j’entends ? Il y a deux êtres dans Hubert : un mouchard et un homme. Le mouchard est infâme, l’homme est sacré.

Ici une voix m’interrompit, la voix d’un brave garçon nommé Cauvet, qui est riche et quelquefois gris, et qui abuse de ce qu’il est partisan de Ledru-Rollin, pour se montrer fanatique de la guillotine. Un grand silence s’était fait. Cauvet dit à demi-voix :

— Ah oui ! c’est ça. Toujours la douceur !

— Oui, dis-je, la douceur. L’énergie d’un côté, la douceur de l’autre ; voilà les deux armes que je veux mettre dans les mains de la république.

Je repris :

— Citoyens, savez-vous ce qui vous appartient dans Hubert ? Le mouchard oui, l’homme non. Le mouchard est à vous, l’honneur du traître, le nom du traître, sa personne morale, vous avez le droit d’en faire ce qu’il vous plaira ; vous avez le droit de broyer cela, de déchirer cela, de fouler cela aux pieds ; oui, vous avez le droit de pétrir sous vos talons le nom de Hubert, et d’en ramasser les lambeaux hideux dans la boue et de les jeter à la face de Bonaparte. Mais savez-vous à quoi vous n’avez pas le droit de toucher ? C’est à un cheveu de sa tête.

Je sentis la main de Ribeyrolles qui serrait la mienne. Je continuai :

— Ce que MM. Hubert et Bonaparte viennent de faire ici est monstrueux : faire nourrir un espion par notre pauvre caisse indigente, mêler dans la même poche le billet de banque de Maupas et le denier fraternel des proscrits, nous jeter aux yeux notre aumône pour nous aveugler, faire arrêter les hommes qui nous servent en France par l’homme que nous nourrissons à Jersey, enrôler dix exilés ici-même pour les pontons, recruter à Jersey pour Cayenne, singer, parodier et compromettre l’exaltation par la mouchardise, aigrir nos amertumes avec le venin de la police, poursuivre la proscription par le guet-apens, ne pas même laisser l’exil tranquille, attacher les fils d’une trame infâme aux plus saintes fibres de notre cœur, nous trahir et nous voler en même temps, nous filouter et nous vendre, combiner ce qu’il y a de plus bas avec ce qu’il y a de plus lâche, la perfidie mielleuse, la férocité sournoise, voilà le sac dans lequel nous venons de prendre la main de M. Bonaparte.

Il y a dans ce sac l’espion ; il y a aussi l’empereur. Je voudrais bien savoir ce que cet empereur pense de cet espion, et ce que cet espion pense de cet empereur.

Citoyens, j’y insiste, la main de M. Bonaparte, elle est dans ce sac plein de ténèbres. Nous la tenons. Ne la lâchons pas.

Qu’avons-nous à faire ? Publier les faits, prendre la France, l’Europe, la conscience publique, la probité universelle à témoin. Faire dire au monde entier : C’est infâme ! Infliger au fait honteux que nous tenons une heure