Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/136

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séparé d’eux. La fenêtre qui donne sur ce préau restreint est la fenêtre de sa cellule.

La porte est épaisse, peinte en noir, garnie d’armatures de fer ; deux gros verrous, un en haut, un en bas, la serrure entre les verrous ; le geôlier ouvrit cette porte et nous introduisit.

La cellule, de même dimension que les autres, environ dix pieds carrés, est blanche, propre, bien éclairée ; une cheminée au fond, dans l’angle à gauche qui est en pan coupé, un baquet, une planche fixée au mur qui fait face à la porte ; à droite de la porte, sous la fenêtre, un lit de bois dont un des quatre montants est tronqué ; sur ce lit une paillasse, une couverture, des draps de grosse laine. Ce grabat a été le lit de Tapner. — Après la mort de Tapner cette cellule a été rendue aux femmes, dont, avec l’autre chambre que j’ai dite, elle forme le quartier.

On ne fait de feu dans la cheminée que sur l’ordre du médecin.

Au moment où nous entrâmes, une femme était assise ou plutôt accroupie sur le lit, le dos tourné à la porte. J’ôtai mon chapeau. M. Tyrrell, un jeune peintre anglais qui m’accompagnait, en fit autant. Cette femme, la prisonnière unique du moment, était, me dit le prévôt, une voleuse. De plus, irlandaise, ajouta le geôlier. Elle était assez jeune, ravaudait un vieux bas et n’avait pas même l’air de nous voir.

Cette femme, chez laquelle la dernière curiosité était éteinte, semblait personnifier la sombre indifférence de la misère.

Tapner a agonisé dans cette cellule blanche, claire et froide.

Ce John Charles Tapner, espèce de gentleman, employé du gouvernement, n’avait tiré nul profit dans sa jeunesse de l’éducation qu’on avait essayé de lui donner, et était arrivé au vol et à l’assassinat par la débauche, le vin et le gin. Il était né d’une famille honnête et d’un père religieux, à Woolwich, en 1823. Il est mort, n’ayant pas encore trente et un ans, le 10 février 1854. Il vivait avec les deux sœurs, marié avec l’une, amant de l’autre. Il avait assuré sa vie pour la totalité de ses appointements, cent cinquante livres sterling, ce qui absorbait tout son revenu et semblait annoncer l’intention de vivre de crimes. L’assurance était sur la tête de sa femme et sur la sienne, au profit du dernier survivant.

J’ai demandé : — La compagnie a-t-elle payé ?

— Oh non ! a répondu le prévôt.

— A-t-elle rendu, ai-je repris, ou donné aux pauvres les primes annuelles qu’elle avait reçues de Tapner ?

— Oh non !

Sous ce prétexte vertueux qu’il y avait crime, la compagnie a volé la veuve.