Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/137

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Tapner semblait insouciant, indifférent, me dit le prévôt, et le prévôt en concluait qu’il ne souffrait pas. — Erreur ! lui dis-je, croyez-vous qu’on n’ait pas froid sous la glace ?

La veille de sa mort, on fit son portrait au daguerréotype. L’appareil fut placé dans le préau grillé attenant à sa cellule, où il faisait un beau soleil. Tapner ne pouvait s’empêcher de rire en posant. La tête de mort aussi semble rire.

— Mais ne riez donc pas, lui disait le prévôt. Gardez votre sérieux. On ne comprendra rien à votre portrait. Vous ne pouvez pas rire aujourd’hui. Ce n’est pas possible.

C’était si possible qu’il riait.

Pourtant un jour le prévôt lui avait prêté un livre de prières.

— Lisez ceci, Tapner, lui dit-il, si vous êtes coupable.

— Je ne suis pas coupable, répondit Tapner.

— Dans tous les cas, reprit le prévôt, vous êtes un pécheur comme moi, comme nous tous. Vous n’avez pas servi Dieu. Lisez ce livre.

Tapner prit le livre. Le prévôt entra dans sa cellule une heure après, et le trouva, le livre à la main, fondant en larmes.

Sa dernière entrevue avec sa femme fut « déchirante », me dit le prévôt.

Cette femme cependant savait ses amours avec sa sœur. Mais qui donc a sondé tous les mystères du pardon ?

La veille de ma visite à la prison. M, Pearce, un des deux chapelains qui avaient assisté Tapner le jour de sa mort, était venu me voir à Hauteville House avec le prévôt. Je demandai à M. Pearce, très vénérable et très digne vieillard :

— Tapner a-t-il su que je m’étais intéressé à lui ?

— Certes, Monsieur, a répondu M. Pearce en joignant les mains. Il a été bien touché et bien reconnaissant de votre intervention, et il a bien recommandé qu’on vous remerciât de sa part.

Je note, comme un détail caractéristique de la liberté de la presse anglaise, qu’à l’époque de la mort de Tapner, tous les journaux de l’île ayant plus ou moins réclamé l’exécution, et fort choqués de ma lettre à lord Palmerston, s’entendirent pour passer sous silence le fait que me révélait M. Pearce. Ils eurent l’air de mettre le pendu du parti de la potence, et il ne tint qu’à moi de croire que Tapner m’en voulait.

— Il y a, me dit le prévôt, une autre chose que vous ignorez et qu’on a également passée sous silence. Vous croyez avoir complètement échoué dans votre intervention et pourtant vous avez remporté une victoire énorme dont vous ne vous doutez pas. Cette île est, comme toute l’Angleterre, le pays de la tradition. Ce qui a été fait hier doit être fait aujourd’hui, afin d’être