Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/183

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20 décembre. — Le capitaine de garde mobile, Breton, destitué comme lâche par la dénonciation de son lieutenant-colonel, demande un conseil de guerre et d’abord à aller au feu. Sa compagnie part demain matin. Il me prie d’obtenir pour lui du ministre de la guerre la permission d’aller se faire tuer. J’écris pour lui au général Le Flô. Je pense que le capitaine Breton sera demain à la bataille.


21 décembre. — Cette nuit, j’ai entendu, à trois heures du matin, le clairon des troupes allant à la bataille. Quand sera-ce mon tour ?


22 décembre. — La journée d’hier a été bonne. L’action continue. On entend le canon de l’est à l’ouest.

Petite Jeanne commence à parler très longtemps et très expressivement. Mais il est impossible de comprendre un mot de ce qu’elle dit. Elle rit.

Léopold[1] m’a envoyé treize œufs frais, que je ferai manger à Petit Georges et à Petite Jeanne.

Louis Blanc est venu dîner avec moi. Il venait de la part d’Edmond Adam[2], de Louis Jourdan[3], de Cernuschi et d’autres, me dire qu’il fallait que lui et moi allassions trouver Trochu et le mettre en demeure ou de sauver Paris ou de quitter le pouvoir. J’ai refusé. Ce serait me poser en maître de la situation, et, en même temps, entraver un combat commencé qui peut-être réussira, Louis Blanc a été de mon avis, ainsi que Meurice, Vacquerie et mes fils qui dînaient avec moi.


23 décembre. — Henri Rochefort[4] est venu dîner avec moi. Je ne l’avais pas vu depuis Bruxelles l’an dernier (août 1869). Georges ne reconnaissait plus son parrain. J’ai été très cordial. Je l’aime beaucoup. C’est un grand talent et un grand courage. Nous avons dîné gaiement, quoique tous très menacés d’aller dans les forteresses prussiennes si Paris est pris. Après Guernesey, Spandau. Soit.

J’ai acheté aux magasins du Louvre une capote grise de soldat pour aller au rempart. 19 francs.

Toujours beaucoup de monde le soir chez moi. Il m’est venu aujourd’hui

  1. Léopold Hugo, neveu de Victor Hugo. (Note de l’éditeur.)
  2. Rédacteur au National ; adjoint d’Armand Marrast à la mairie de Paris en 1848, secrétaire général à la Préfecture de la Seine ; préfet de police en 1870 ; devint membre de l’Assemblée nationale, puis sénateur. (Note de l’éditeur.)
  3. Journaliste, rédacteur du Siècle. (Note de l’éditeur.)
  4. Fondateur de la Lanterne, député de Paris en 1869, directeur de la Marseillaise et du Mot d’ordre, membre du Gouvernement de la Défense nationale, puis de l’Assemblée nationale ; directeur de l’Intransigeant. (Note de l’éditeur.)