Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/239

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Il pleuvait toujours. J’étais tête nue. Je me suis aperçu qu’il y avait un parapluie au-dessus de moi. C’était un des assistants qui tendait son parapluie ouvert sur ma tête. J’ai écrit ceci pour être gravé au-dessous du nom de mon père :


GUERRE DE LA VENDÉE. — CAMPAGNE DU RHIN.
GUERRE D’ITALIE. — GUERRE D’ESPAGNE.
CAMPAGNE DE FRANCE.
SIÈGE DE THIONVILLE.




I792-1815.




Par lui Thionville resta française.


On a fermé la tombe. Nous sommes sortis du Père-Lachaise. Il était onze heures et demie.

Mon pauvre petit Georges est mort dans son treizième mois et a été apporté à la tombe de Paris le 13 mai. Son père, arrivé à Bordeaux le 13 février, est mort le 13 mars.


6 juin. — Après le dîner est venu M…[1], inspecteur des tombeaux. Il m’a dit : — Monsieur, je suis envoyé à vous par M. le préfet de la Seine. — Je lui ai demandé : Comment s’appelle-t-il en ce moment ? — Il m’a répondu : — M. Ferdinand Duval. Et il a continué en tirant de sa poche un papier sur lequel était transcrite l’épitaphe que j’ai faite pour le tombeau de mon père. — Il m’a dit : — M. le préfet a la censure des épitaphes. — Et, en me montrant la dernière ligne ainsi conçue :


Par lui Thionville resta française.


Il a ajouté :

— Monsieur le préfet a l’honneur de vous prévenir qu’il croit devoir effacer cette ligne.

— Pourquoi ? ai-je demandé.

— Parce qu’elle pourrait en ce moment blesser l’Allemagne.

Je lui ai dit : — Monsieur, voici ma réponse : J’envoie à M. le préfet une paire de soufflets.

En rentrant dans le salon j’ai dit le fait à Schœlcher.

  1. Le nom est resté en blanc sur le carnet. (Note de l’éditeur.)