Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/361

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pu rôder dans ces ténèbres. Mais le dix-huitième siècle est venu, avec Voltaire qui est l’étoile du matin, et la Révolution qui est l’aube, et maintenant il fait grand jour. La guerre habite un sépulcre. Les larves ne sortent pas des sépulcres à midi. Qu’elle reste dans son tombeau et qu’elle nous laisse dans notre lumière.

Cache tes drapeaux, guerre. Sinon, toi, misère, montre tes haillons. Et confrontons les déchirures. Celles-ci s’appellent gloire ; celles-là s’appellent famine, prostitution, ruine, peste. Ceci produit cela. Assez.

Est-ce vous qui attaquez, allemands ? Est-ce nous ? À qui en veut-on ? Allemands, all Men, vous êtes Tous-les-Hommes. Nous vous aimons. Nous sommes vos concitoyens dans la cité Philosophie, et vous êtes nos compatriotes dans la patrie Liberté. Nous sommes, nous, européens de Paris, la même famille que vous, européens de Berlin et de Vienne. France veut dire Affranchissement, Germanie veut dire Fraternité. Se représente-t-on le premier mot de la formule démocratique faisant la guerre au dernier ?

Les masses sont les forces ; depuis 89, elles sont aussi les volontés. De là le suffrage universel. Qu’est-ce que la guerre ? c’est le suicide des masses. Mettez donc ce suicide aux voix ! Le peuple complice de son propre assassinat, c’est le spectacle qu’offre la guerre. Rien de plus lamentable. On voit là à nu tout ce hideux mécanisme des forces détournées de leur but et employées contre elles-mêmes. On voit les deux bouts de la guerre ; nous en avons montré un tout à l’heure qui est le résultat : la misère. Maintenant montrons l’autre, qui est la cause : l’ignorance. Oh ! ce sont là, en effet, les deux tragiques maladies. Qui les guérira augmentera la lumière du soleil.

Le propre de l’ignorance, c’est de subir. Les forces s’ignorent. Avez-vous remarqué le grand œil doux du bœuf ? Cet œil est aveugle. Il faut qu’il reste doux, mais qu’il devienne intelligent. La force doit se connaître. Sans quoi elle est terrible. Elle aboutit à commettre des crimes, elle qui doit les empêcher. Que tout soit actif, que rien ne soit passif, le secret de la civilisation est là. Forces passives, quel mot inepte ! De là des meurtres. Un cadavre étendu qui regarde le ciel accuse évidemment. Qui ? Vous, moi, nous tous, non seulement ceux qui ont fait, mais ceux qui ont laissé faire.

Que les spectres s’en aillent ! Que les méduses se dissipent ! Non, même pendant le canon d’une bataille, nous ne croyons pas à la guerre. Cette fumée est de la fumée. Nous ne croyons qu’à la concorde humaine, seul point d’intersection possible des directions diverses de l’esprit humain, seul centre de ce réseau des voies qu’on appelle la civilisation. Nous ne croyons qu’à la vie, à la justice, à la délivrance, au lait des mamelles, aux berceaux des enfants, au sourire du père, au ciel étoilé. De ceux mêmes qui gisent froids et saignants sur le champ de bataille se dégage, à l’état de remords