Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/378

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ment impérial. François-Victor Hugo exprime à son père ses inquiétudes :


[Novembre 1866.]
Cher père,

La petite conspiration existe bien réellement. Trouvera-t-elle le moyen d’éclater dans le Guide dont tu fais la préface ? Je ne puis le croire. Nous n’avons pas d’autre sauvegarde ici que la loyauté d’Ulbach, qui, depuis la retraite de Meurice, a la direction absolue du livre. Tu me dis de corriger les épreuves ; mais je n’ai jamais eu sur le livre Paris qu’un pouvoir d’arbitrage dans certains cas de litige entre Meurice et Lacroix. Depuis que Meurice s’est retiré, Ulbach est devenu dictateur et s’est bien gardé de me rappeler que je restais arbitre. Je n’ai donc maintenant aucune influence sur la direction de l’ouvrage. Ulbach est bien intentionné, mais un peu éclectique. Cet éclectisme est le danger. Il m’a écrit la semaine dernière pour me demander un article sur la place Royale. Je lui ai répondu que j’étais prêt à le faire, mais que je désirais préalablement savoir de combien de lignes et de combien de roubles il pouvait disposer en ma faveur.


Lundi 19 novembre.
Cher père,

Lacroix, que j’ai vu tout exprès, a dû t’envoyer hier dimanche les renseignements que tu demandais sur le Guide. Tu remarqueras que ni Meurice ni Vacquerie ne figurent sur la liste des collaborateurs. Une légèreté d’Ulbach qui, paraît-il, a oublié de demander, en temps opportun, un article à Meurice a décidé celui-ci à s’abstenir ; et l’abstention de Meurice a entraîné celle de Vacquerie. Cette double retraite est fort regrettable. Lacroix en est fort affligé et étonné, d’autant plus étonné que son traité avec Meurice obligeait Meurice à fournir un article au Guide, et que la résolution de Meurice provoquée par le manque de forme d’Ulbach est une infraction au traité. Quoi qu’il en soit, le Guide paraît bien aller. Il y a nombre d’adhésions importantes. Ton Introduction est attendue avec une vive impatience.


La rupture entre Paul Meurice et Lacroix risquait d’avoir de graves conséquences. Victor Hugo avait signé son traité alors que la direction du Paris-Guide était confiée à l’ami dans lequel il avait toute confiance ; peut-être se récuserait-il, ou en tout cas serait-il encore plus rigoureux sur les garanties qu’il avait primitivement exigées. Comme le disait François-Victor, Ulbach était devenu un dictateur. Assurément c’était un fervent admirateur, mais il était, en effet, assez éclectique. N’étant pas mêlé à la politique, quoiqu’il fût très sincèrement républicain, il accueillait tous les hommes de lettres avec une égale bienveillance, et, nous qui l’avons bien connu, nous nous souvenons qu’au moment où il s’assurait des concours pour Paris-Guide, il soutenait volontiers qu’on devait s’adresser à tous les écrivains sans distinction d’opinion, le caractère du livre s’accommodant de l’appel à toutes les spécialités et à toutes les compétences. Cette idée était assurément défendable ; mais, à cette époque, la lutte contre l’empire était plus ardente que jamais ; l’homme qui avait été chargé d’écrire l’Introduction était un proscrit ; il était le pavillon qui couvrait la marchandise, il encourait une certaine responsabilité, et il avait nettement spécifié qu’il aurait un droit de contrôle sur les articles. Or des notes paraissaient dans les journaux annonçant des collaborateurs inquiétants, et Victor Hugo, qui ignorait le contenu des articles, s’en était ému.

Nous devons à l’obligeance de notre éminent ami Louis Barthou, un de nos plus fins lettrés et un de nos plus riches collectionneurs de documents, la communication des lettres de Victor Hugo à Lacroix. Elles nous montrent les scrupules du poète :


H.-H., 29 décembre. [1866.]

Mon cher monsieur Lacroix, le cas prévu par notre traité se présente. Sur l’annonce faite par les journaux, mes amis politiques m’écrivent de toutes parts pour me demander si j’ai