Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Victor avait connu Adèle tout enfant ; les deux familles Hugo et Foucher étaient liées avant leur naissance ; ils avaient grandi ensemble, ils se tutoyaient.

Victor Hugo a encore rapporté lui-même la naissance de leur amour[1].

La « fiancée » continue à son tour le récit[2]:

« En août 1818, Mme Hugo ne logeait plus aux Feuillantines ; la demi-solde du général ne lui permettait plus le luxe d’un jardin. Elle avait un appartement moins coûteux au troisième étage du numéro 18 de la rue des Petits-Augustins…

« Après son dîner, elle avait l’habitude d’aller chez Mme Foucher. Quand ses deux fils sortirent de pension, ils y allèrent avec elle. Presque tous les soirs de l’hiver 1818-1819, le portier de l’hôtel Toulouse[3] vit entrer Eugène et Victor se donnant le bras, et, derrière eux, leur mère, son sac à la main et vêtue d’une robe de mérinos amarante que recouvrait un cachemire à palmes.

« … Les soirées étaient fort silencieuses. La santé du maître de la maison, défaite par des excès de veilles, se prêtait peu au mouvement et à la conversation. Il s’effaçait dans son coin et dans ses livres. Mme Foucher, pour ne pas le troubler et par nature, causait peu ; Eugène et Victor avaient été élevés par leur mère à ne jamais parler sans qu’on les interrogeât. Mme Hugo interrompait de temps en temps sa couture pour ouvrir sa tabatière, car elle prisait comme M. Foucher. Elle présentait sa tabatière à son vieil ami en lui disant : « Monsieur Foucher, voulez-vous une prise ? » M. Foucher répondait oui ou non, et c’était d’ordinaire, avec le bonjour et le bonsoir, les seules paroles échangées de toute la soirée.

« Ces soirées si monotones avaient pour Victor un intérêt qu’on ne s’expliqua pas dans le commencement. Aussitôt le dîner fini, il était prêt et pressait la lenteur d’Eugène ; dans la rue, il avait peine à ne pas devancer sa mère ; quand, par hasard, il ne venait pas à l’hôtel Toulouse, il était triste…

« Son bonheur n’était pourtant pas de voir pétiller le feu ni de passer deux heures immobile sur une chaise mal rembourrée, et cela lui était bien égal qu’on ne dît pas un mot, et il était content que M. Foucher eût les yeux baissés sur son livre et les femmes sur leur ouvrage, parce qu’alors il pouvait regarder tout à son aise Mlle Adèle. »

Longtemps Victor se contenta de cette contemplation muette, soit par timidité, soit par la difficulté de voir Adèle seule, soit enfin qu’il ne démêlât pas bien lui-même ce qui se passait en lui ; la jeunesse, en ce temps-là, manquant sans doute un peu d’instruction.

On sait, par une des lettres de 1821[4], quel jour et comment les deux jeunes cœurs se révélèrent l’un à l’autre ; la date est précise, ce fut le 26 avril 1819 ; Victor avait dix-sept ans, Adèle en avait seize.

... Il y eut alors quelques lettres échangées, mais il paraît qu’elles étaient « brèves et froides » ; elles n’ont pas été conservées.

D’ailleurs, les deux petits amoureux allaient être momentanément séparés.

« L’hiver touchait à sa fin. Mme Foucher louait, pour la saison d’été, un pied-

  1. Le Dernier jour d’un Condamné.
  2. Mme Victor Hugo : Victor Hugo raconté par un Témoin de sa vie.
  3. Hôtel des Conseils de Guerre, rue du Cherche-Midi, où M. Foucher, ancien greffier du Conseil, avait conservé son appartement.
  4. La date est déjà donnée en avril 1820 (voir page 25); les détails sont rapportés le 26 avril 1821 (voir page 42).