Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/160

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Vendredi soir (8 mars).

C’est ce matin 8 mars qu’est partie cette lettre qui peut entraîner tant de conséquences[1]. Soyons attentifs tous deux, nous touchons peut-être, mon Adèle, à l’une des époques les plus importantes de notre vie. Pardonne-moi de dire notre vie et de te confondre ainsi avec moi dans une communauté de sort que je ferai pourtant cesser moi-même, sois-en sûre, tout le premier, du moment où je craindrai qu’elle n’amène pas ton bonheur.

Maintenant que cette lettre est partie, Adèle, maintenant que j’ai rempli mon devoir en obéissant à l’un de tes désirs, je puis te dire tout ce que je n’ai point dit auparavant de peur de paraître hésiter entre mon dévouement à tes moindres volontés et un danger, ce danger dût-il même entraîner le malheur de toute ma vie. Je sens au contraire combien il était naturel que tu désirasses à tout prix sortir de l’incertitude où tu es, je le sens tellement qu’il y a deux mois je voulais moi-même prévenir ta juste impatience en provoquant de tes parents l’autorisation de faire la même ouverture à mon père, en allant même plus loin, en lui demandant son consentement. Ils ont pensé autrement et j’ai dû me rendre. Quand cette idée vous est revenue, je l’ai trouvée simple et même convenable de votre part, aussi me suis-je bien gardé d’en présenter le résultat sous un jour défavorable et d’en faire ressortir les inconvénients. Que ces paroles ne t’alarment en rien, chère amie, si je prévois des malheurs, je n’en prévois que pour moi, et je te le répète, cela n’a point dû me faire reculer quand tu me disais d’avancer. Tu ne dépends, toi, aucunement de mon père, tu n’es point légalement et directement placée sous son autorité, il n’a point le droit de te faire faire un pas hors de Paris ; il ne peut tourmenter et détruire que mon avenir personnel ; si mon amour pour toi lui déplaît, ce n’est qu’à moi qu’il peut s’en prendre. Sois donc tranquille comme moi, car s’il fallait tomber, je saurais encore tomber de manière à te protéger. Attendons tous deux avec calme et bonne conscience. M’as-tu vu, dis-moi, moins riant et moins serein depuis que j’ai peut-être anéanti moi-même

  1. Il s’agit de la lettre où Victor demandait au général Hugo son consentement à leur mariage.