Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/216

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Ce vendredi, 9 heures du soir.

Voici le premier moment de joie de toute cette journée : je t’écris.

Adèle, il me semble qu’il y a un siècle que je ne t’ai vue. Je ne puis me figurer qu’hier à pareille heure je fusse encore près de toi. Hier, j’étais bien heureux ! Ô quand donc tous mes instants, tous ! se passeront-ils ainsi ? quand serai-je ton compagnon de tous les jours ? quand pourrai-je veiller sur toutes les heures de ta vie, sur toutes les heures de ton sommeil ? Chère amie, il me semble que plus cette heureuse et mille fois heureuse époque approche, plus mon inquiète impatience redouble ! Si tu savais tout ce qui se passe dans mon âme quand je songe à toi, à l’immense félicité qui me viendra de toi ! Je cherche en vain des mots, toutes mes idées restent confuses et ma tête n’est plus qu’un chaos d’amour, d’ivresse et de joie.

Je crains, en vérité, que le jour où je pourrai m’écrier à la face de tous les hommes : elle est à moi, entièrement, uniquement et éternellement à moi ! oui, je crains que ce jour-là mon être ne se brise de bonheur. Tant de joie, en entrant violemment dans mon âme, devra, ce me semble, la bouleverser. Quel moment que celui où je tiendrai tout mon bonheur de toute ma vie ! ce bonheur qui est depuis si longtemps devant moi sans que je puisse l’atteindre ! C’est donc un ange qui peuplera ma solitude, qui fera cesser mon isolement ! Et quand je pense que cet ange bien-aimé m’a permis de croire qu’il désirait aussi un peu ce jour que j’appelle si ardemment de tous mes vœux et de tous mes travaux, j’oublie les cruelles épreuves que j’ai subies pour ne songer qu’à l’avenir enivrant qui m’est promis, et je trouve que j’ai encore trop peu souffert pour tant de bonheur.

Adèle, je jouirai donc bientôt auprès de toi des droits d’époux et des devoirs d’esclave, je pourrai te protéger et te servir, effacer tous tes chagrins avec mes caresses, tarir toutes tes larmes avec mes baisers ; ou plutôt tu n’auras alors ni chagrins, ni larmes ; tu seras heureuse, n’est-ce pas ? et ma joie reposera dans la tienne. — S’il nous survient des contrariétés, et, ne nous faisons pas illusion, il nous en surviendra, elles ne seront rien, parce que nous les supporterons ensemble, ou plutôt parce que ton sourire m’aidera à les supporter. Car dans tout le cours de notre vie nos rôles mutuels seront, toi, de me consoler, et moi, de te défendre.

Répète-moi souvent, Adèle, que tu souhaites aussi notre union, car tu