Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/223

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Samedi (20 juillet).

Prends garde, mon Adèle, ne m’accuse plus de ne pas aimer à t’écrire, car j’y passerais désormais toutes mes journées. Tu me dis, à la vérité, que je peux bien tous les jours donner à une lettre pour toi une heure ou une demi-heure et tu aurais raison s’il me suffisait d’une heure ou d’une demi-heure pour t’écrire. Tu ne sais pas, chère amie, après quel long recueillement je commence ces lettres ; il me semble que lorsque je m’entretiens ainsi avec toi, je ne puis fouiller assez profondément dans mon âme. Si je n’écoutais que ma pensée éternelle, si je laissais courir ma plume, je t’écrirais sans cesse que je t’aime et toujours que je t’aime, tandis que je m’applique à t’exprimer tout ce que cette seule et grande idée réveille de sentiments dans mon cœur ; autrement ces lettres, Adèle, seraient toutes les répétitions les unes des autres. Après cette explication qui t’a sans doute ennuyée, chère amie, ne me répète plus un reproche cruel qui ne devrait jamais se présenter à ton cœur, parce qu’il est cruel, ni à ton esprit parce qu’il est injuste. Toi qui es si bonne et si douce, tu ne voudrais pas faire de peine à ton Victor. Et comment peux-tu, je te le demande, mon Adèle chérie, douter un seul instant du bonheur que j’éprouve à épancher ainsi dans ces lettres tout ce qui peut s’exprimer dans l’inexprimable amour que j’ai pour toi ! Tu ne sais pas, Adèle, quel poids était sur mon cœur, à l’époque douloureuse où nous étions séparés, la passion brûlante que j’étais obligé de renfermer en moi-même et qui me dévorait. Te rappellerais-tu, as-tu encore la première lettre que je t’écrivis alors ? Hélas ! mon Adèle, souviens-toi de l’accueil que tu lui fis d’abord... Je ne te blâme pas, ange, tu me connaissais bien peu dans ce temps-là. Il y a aujourd’hui un an que j’arrivai à Dreux, ne nous plaignons pas du ciel, aujourd’hui je suis bien près de mon bonheur et le jour de cette arrivée j’étais loin de croire qu’une année dût suffire pour l’amener. Ô mon Adèle, pardonne-moi, car je doutais de toi, et je croyais presque toute ma félicité évanouie. Pardonne-moi, depuis tu m’as bien prouvé que ta belle âme est faite pour toutes les nobles vertus d’un amour constant, virginal et dévoué. Oh ! combien je t’aime, combien je t’ai toujours aimée ! Et comment oserais-je me plaindre de la vie, quand j’y ai rencontré pour compagne un ange tel que toi. Adieu, ma bien-aimée Adèle, mille baisers de ton mari.

Victor.