Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/225

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tion… Dieu ! ne plus t’aimer ! Moi qui donnerais ma vie et mon âme pour un seul de ces cheveux d’ange que je vais couvrir de baisers avant de me coucher. Adieu donc, à demain, que j’ai de peine à me séparer de toi !


Mardi, 8 heures et demie du matin.

Je veux dérober encore ce matin quelques moments aux ennuis et à l’ennui. Que fais-tu en cet instant ? as-tu bien dormi, mon Adèle ? Penses-tu à moi, à ton pauvre mari que tu as laissé hier si malheureux ? M’écris-tu ? J’aime à penser que tu m’écris peut-être à présent, et que cette douce lettre fera ma joie ce soir et adoucira le regret de t’avoir quittée. Que me dis-tu ? Quelle est ta pensée ? Ah ! faut-il être contraint de me faire à chaque instant du jour des questions pareilles ? Ne devrais-je pas être sans cesse près de toi, Adèle, moi qui ne vis réellement que près de toi ! C’est vrai, il me semble que je ne sens mon âme et ma vie que lorsque je puis voir ton regard ou entendre ta voix. Loin de ce bonheur, tout est ténèbres autour de moi et je suis en quelque sorte indifférent à moi-même. Je vois des objets se mouvoir, j’entends des sons se former, mais rien ne m’intéresse, et il faut quelque chose d’extraordinaire pour me tirer de cette apathie. Si l’on cause devant moi, je rêve ailleurs ; si l’on me parle directement, je réponds des mots sans suite. Adèle, c’est toi qui es cause de ma folie, c’est toi aussi qui en es le remède. Laisse-moi croire, je t’en supplie, que tu penses à moi comme je pense à toi, que tu m’aimes comme je t’aime, répète-le-moi sans cesse et ne te lasse pas de me le redire, si tu veux que j’aime cette vie, si douce avec toi, si affreuse et si insupportable sans toi.


6 heures un quart.

J’espérais, chère amie, pouvoir t’écrire encore cette longue page en serrant bien les lignes, mais toute ma journée s’est passée à faire des courses, recevoir des visites, etc., suite insipide de la publication de mon recueil. Mon Adèle, que tous ces gens-là m’ont enlevé un temps précieux ! Pardonne-moi, car je ne leur pardonne pas. Il est 6 heures. Je vais te voir, je suis si avide de te voir que c’est tout au plus si je voudrais prendre le temps de te dire encore que je t’aime, que je t’adore, que je t’embrasse, adieu, ange.

Ton mari, Victor.