Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/235

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Lundi, 8 heures et demie du soir[1].

Ne plus te voir que deux heures par jour, après tant de bonheur si tôt passé à notre Gentilly ! Chère amie, cela seul suffirait pour me désoler, et il faut encore, quand je te vois, que cette joie soit empoisonnée par le spectacle de toutes les tracasseries odieuses que l’on te fait souffrir ! Ce n’est pas assez que nous soyons séparés, il faut que ton sommeil soit dérangé, tes nuits troublées et encore comment paie-t-on tes soins et tes peines ! J’avoue que dans le peu de moments que je passe chez toi, la patience est souvent bien près de m’échapper. Je me contiens, mais il faut toute ma crainte de t’attirer quelque désagrément pour remporter cette pénible victoire sur moi-même. Tout mon être se révolte quand je te vois, toi, mon Adèle, ma femme bien-aimée, l’objet d’un reproche indirect et injuste ou d’une insupportable exigence. Non, je ne veux pas que tu prodigues ton repos, que tu sacrifies ta santé, songe, chère et bonne, trop bonne Adèle, que c’est bien plus qu’immoler ma santé et mon repos. Je veux que tu dormes toutes tes nuits, autrement comment pourrais-je dormir te sachant debout ? C’est par pitié pour moi que je te prie d’avoir pitié de toi. Ce sera de l’égoïsme, si tu veux, car pour tout ce qui te concerne j’ai de l’égoïsme. Je souffre en toi comme je jouis en toi. Adieu pour ce soir, mon ange chéri, je vais travailler et puis me coucher pour rêver de toi, en attendant que je me couche pour t’embrasser comme je t’embrasse en ce moment sur le papier. Adieu. Dors.


Mardi.

J’espérais pouvoir t’écrire aujourd’hui, chère amie, mais il faut renoncer à ce bonheur. Du moins te verrai-je ce soir. Mille caresses de ton mari.

  1. Inédite.