Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Mardi soir (20 août).

Ton papier était bien petit, mon Adèle, et les bords en étaient coupés comme s’il avait été diminué. Pardonne-moi, chère amie, cette remarque qui te prouve combien tes lettres me sont précieuses. Hélas ! je compte pour ainsi dire les lignes de toutes les pages et les lettres de toutes les lignes. Oh oui, Adèle ! ton Victor a bien besoin de croire que tu l’aimes. Pour moi, je n’ai presque plus d’encre et ce avec quoi j’écris peut à peine passer pour une plume. Aussi je me vois forcé de remettre à demain le bonheur de t’en écrire davantage, en attendant j’embrasse mon Adèle adorée aussi tendrement que je l’aime.


Mercredi, 4 heures et demie.

Je lis et relis ta lettre, Adèle ; chère amie, pardonne-moi ; je suis heureux de voir que quelques jours de retard t’affligent autant que moi ; peut-être à la vérité, y a-t-il de la présomption à le croire, mais, chère ange, le dirais-tu si cela n’était pas ? Seulement ton papier est bien exigu, en étendant les deux pages, elles couvrent à peine celle-ci ; je reviens souvent sur cette remarque, c’est que ton mari l’a faite avec une vive peine.

Je sors du ministère : encore une ou deux semaines de patience, mon Adèle ! Ces gens-là ne se doutent pas que ce qu’ils appellent des semaines de patience sont pour moi des siècles de souffrance. Ils traitent l’affaire de ma pension comme une affaire, sans soupçonner qu’ils devraient la traiter comme un bonheur. Cependant l’ardeur de mes démarches actuelles contraste si fortement avec l’indifférence qu’ils me voyaient précédemment apporter à mes intérêts qu’elle devrait leur faire sentir qu’il s’agit ici de plus que de moi. Enfin, pourvu que leurs longues promesses se réalisent bientôt, j’aurai bien vite oublié leurs lenteurs. mon Adèle, parle-moi souvent de notre bonheur quand nous serons unis, du tien surtout, car il est tout le mien. Je voudrais que tu pusses lire mon âme ; tu serais peut-être heureuse. Va, sois-en sûre, dans six semaines tu seras à moi, j’ai bien besoin de cette certitude moi-même, et je l’ai. Adieu, adieu, mon Adèle bien-aimée, n’aie aucune inquiétude de l’avenir. Il faut que nous soyons mariés dans deux mois, et nous le serons ou je serai mort. Adieu, ange, je t’embrasse.