Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Lundi, 9 heures du soir (26 août).

Il me serait bien doux, mon Adèle, de passer toute la nuit à t’écrire comme cela m’est déjà tant de fois arrivé ; mais il faudrait renoncer à un autre bonheur également bien doux, celui de rêver de toi, et j’aime mieux partager ma nuit entre ces deux félicités. D’ailleurs ce sera t’obéir, ce qui est une joie de plus.

Chère amie, si tu savais combien il est grand le bonheur de mes songes !… Souvent d’enchanteresses illusions te transportent, mon Adèle bien-aimée, dans les bras de ton mari ; il te serre sur son cœur, tes lèvres adorées pressent ses lèvres, tu te plais à ses caresses, tu y réponds, Adèle, tout son être se confond avec le tien... Puis l’excès de bonheur me réveille, et rien !... Et mon lit vide, et mon Adèle absente, et toute la triste réalité ! Alors, chère amie, je suis aussi à plaindre que j’étais digne d’envie, il me semble que je passe du ciel dans l’enfer. C’est dans ces moments, mon ange chéri, que j’ai bien besoin pour relever mon courage de penser que le jour où tant de rêves délicieux ne seront plus des rêves n’est pas loin de nous.

Hélas ! mes rêves, Adèle, ont si longtemps été tout mon bonheur ! Durant notre longue et douloureuse séparation, avais-je autre chose que les doux mensonges de la nuit et du sommeil ? C’est alors que les nuits, quand l’affliction me permettait de dormir, étaient vraiment la seule partie heureuse de ma vie ; c’est alors que j’ai éprouvé que les malheurs si cruels d’un amour innocent sont adoucis par cette innocence même. À cette époque où mes journées étaient si tristes et si isolées, il m’a semblé que toutes les joies de mon âme s’étaient réfugiées dans mes songes. Tu apparaissais dans tous mes sommeils, et si quelquefois de douloureux souvenirs se mêlaient confusément à ces charmants rêves, du moins tu étais là, et ton image répandait son charme sur tout. Il me semblait que tu étais le témoin de mes tourments, la consolatrice de mes peines, et dans ces songes chéris combien ne bénissais-je pas les douleurs auxquelles je devais le bonheur d’être consolé par toi !

Mais alors c’était le réveil qui était affreux ! je perdais tout, presque jusqu’à l’espérance, tandis que maintenant, même quand tu m’es échappée avec mon rêve, il me reste encore la plus délicieuse, je ne dis pas des espérances, mais des certitudes. Dans un mois, mon Adèle... Ne trouves-tu pas qu’un mois est bien long ? Pardon pour cette question présomptueuse. Je me suis laissé