Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/253

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Dimanche, 1er septembre, 9 heures du soir[1].

Maintenant, mon Adèle, je ne puis me coucher content sans t’écrire : c’est une douce habitude qui fait partie de mon bonheur actuel, et il est bien borné, ce bonheur ! Ce soir encore il a fallu quitter ma femme à huit heures comme si elle n’était pas ma femme. Je me suis retiré avec une inquiétude dans le cœur, qui me dit que ta nuit se passera paisiblement ? Tu as déjà la nuit passée été dérangée dans ton sommeil, et je crains bien vivement que ta santé ne souffre, si ton repos précieux est ainsi troublé. Combien je voudrais, bien-aimée Adèle, pouvoir prendre pour moi toutes tes fatigues et tous tes ennuis ! Oh oui ! je tremble que ton sommeil ne soit interrompu cette nuit tandis que moi, qui suis fort et qui suis homme, je pourrai dormir en paix, si pourtant l’inquiétude n’y met ordre. Je n’oublie pas, mon ange chéri (et comment pourrais-je l’oublier ?), ta promesse de m’écrire si tu ne peux dormir, mais quelque bonheur que m’apporte une lettre de toi, elle ne peut rien quand je suis alarmé pour ta santé. Tu t’es plainte aujourd’hui à plusieurs reprises, Adèle, et cela a suffi pour empoisonner toute ma joie d’être auprès de toi. Pourtant il y avait longtemps que je n’avais eu d’aussi heureuse journée. C’est avec une bien délicieuse émotion que ton Victor a revu avec toi ce Gentilly témoin de tant de bonheur. Hélas ! pourquoi faut-il que cette félicité soit passée ? Elle n’est à présent que dans mon souvenir, mais il en est une autre encore bien plus grande dans mes espérances. Oh ! dis-moi, mon Adèle chérie, songes-tu quelquefois à ce bonheur passé, à ce bonheur futur ? Oui, mon cœur m’en répond, tu ne peux m’aimer sans y songer, et il est vrai que tu m’aimes, puisque je vis. Adieu pour ce soir. Oh ! combien tes douces et timides caresses m’ont rendu heureux ! Adieu, mon ange adoré, oh ! pourvu que tu dormes bien toute cette nuit, que tu rêves un peu de moi, que tu penses un peu à moi (chère amie, ne t’y trompe pas, un peu veut dire toujours), pourvu que demain je te retrouve rose, fraîche et bien portante, tous mes vœux seront comblés, pourvu encore que tu me permettes de t’embrasser autrement qu’à la fin de mes lettres. J’ai remarqué avec douleur que cette parole si tendre manquait

  1. Inédite.