Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/258

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encore faire pour moi. De grandes preuves de dévouement peuvent être inspirées par la simple générosité, tandis que c’est dans les riens, dans les mots, dans les regards que l’amour se décèle. Les plus fortes preuves de l’amour sont une foule de choses imperceptibles pour tout autre que l’être aimé. C’est dans les moindres mouvements, dans les promptes et premières inspirations de l’âme qu’il se révèle tout entier. La générosité ne va pas si loin, hélas ! et tout ce que tu fais pour moi peut être le résultat d’une pitié généreuse, sans qu’aucun indice certain me prouve que c’est de l’amour.

Tu vas te récrier, m’accuser, me reprocher de l’ingratitude... Adèle, générosité pure encore que tout cela. Une marque de froideur t’est échappée naturellement, elle m’a blessé naturellement aussi. J’ai la faiblesse de te raconter cette douleur que tu m’as faite, un simple sentiment de bonté et de compassion te porte à réparer le mal que tu as causé, et pour cela tu emploies les seuls moyens efficaces, des paroles ou des signes extérieurs de tendresse. Tout cela me prouve ce que je sais déjà, que tu es bonne, compatissante, généreuse, mais nullement que tu m’aimes.

Je prévois, mon Adèle, tout ce que tu vas me dire ici pour me faire changer d’idée, parce que je connais ton excellent cœur ; mais il y a bien longtemps que j’ai cette pensée désolante dans l’âme, rien n’a pu l’en arracher, tu l’endors quelquefois par de grandes protestations d’amour, mais bien souvent tu la réveilles par de petites marques d’indifférence. Adieu, il est bien temps que cette lettre finisse, car je ne pourrais en écrire davantage. À demain donc, a six heures !

Songe surtout que je ne te demande rien que ce qui est dans ton cœur. Quoi qu’il doive m’en coûter, je veux que tu te montres à moi telle que tu es.