Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/28

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Mardi, 18 avril 1820.

Je suis désolé, ma bien-aimée Adèle, de te voir malade, et si les idées que tu te formes sur mon compte contribuent à te mettre en cet état, je ne sais, en vérité, comment faire pour te détromper. Je t’avais demandé quelles étaient les commères qui te donnaient une mauvaise opinion de moi ; tu n’as pas voulu me répondre, parce qu’il est malheureusement probable que tu crois à la vérité de ce qu’elles te disent sur moi... Je t’avais demandé encore quels étaient les reproches que l’on me faisait afin de me corriger, s’ils étaient justes, et de les démentir, s’ils étaient faux ; tu n’as pas jugé à propos de me satisfaire encore sur ce point. Que te dit-on donc de moi ? Il est probable que tous ces propos ne sont honorables ni pour ma conduite, ni pour mon caractère, et cependant le ciel m’est témoin que je voudrais que tu connusses toutes mes actions, toutes sans exception, je m’inquiéterais alors fort peu des bavardages de tes amies et je pense que tu ferais plus de cas de moi que tu n’en fais. Comme il serait très possible que l’on m’eût peint à toi comme plein d’amour-propre, je te supplie de croire que je ne parle point ainsi par orgueil.

Tu m’adresses de vagues inculpations, je suis gêné près de toi, dis-tu[1]. Tu as raison, je suis gêné, parce que je voudrais toujours être seul avec toi et que je suis tourmenté des regards scrutateurs des autres. Tu ajoutes que je m’ennuie ; si tu me crois un menteur, il est inutile que je te dise que les seuls moments de bonheur que j’aie encore sont ceux que je passe près de toi.

Cependant, mon Adèle, puisque la suite cruelle de mes idées m’amène à t’en parler, il faudra bientôt que je renonce à ce dernier et unique bonheur. Je suis vu avec déplaisir de tes parents, et, certes, ils ont bien à se plaindre de moi. Je reconnais mes torts, ou plutôt mon tort, car je n’en ai qu’un, celui de t’avoir aimée. Tu sens que je ne puis continuer mes visites dans une maison où je suis mal vu. Je t’écris ceci les larmes aux yeux, et j’en rougis presque, comme un sot et un orgueilleux que je suis.

Quoi qu’il en soit, reçois ici mon inviolable promesse de n’avoir jamais

  1. « ... Tu es souvent gêné, embarrassé, tu n’oses pas te montrer tel avec moi. Tout cela te rend malheureux et j’en suis la cause... Ce n’est pas assez pour moi d’être malade de chagrins et de peines, il faut encore que je t’ennuie dans le peu d’instants que tu es avec moi. »