Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/299

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Nous voyant en état de juger du prix des choses, tu nous offres vingt-cinq louis par an pour notre entretien. Nous les acceptons pourvu qu’ils nous soient remis en main propre. Car alors, avec l’expérience que nous pouvons avoir acquise, et surtout avec l’aide et les conseils de maman, qui, quoi qu’on en dise, s’entend en économie, nous sommes sûrs de pouvoir, au moyen de cette modique somme, nous entretenir plus décemment que nous ne l’avons été jusqu’ici, en te coûtant certainement davantage. Mais si l’argent est remis en d’autres mains, nous n’avons plus cette certitude ; nous ne pouvons plus nous servir des moyens qui nous la procurent ; nous ne pouvons plus faire comme toi ; proportionner nos dépenses à notre avoir et être d’autant plus à notre aise que nous aurons plus d’ordre et d’économie. En ce cas, cher papa, tu nous permettrais de refuser. Si tu consens à ce que nous te demandons, nous nous engageons, en cas que tu le croies nécessaire, à t’envoyer tous les trois mois le compte de ce que nous avons dépensé, sinon il faudra bien que nous nous résignions à rester comme ci-devant, soit que tu nous entretiennes, soit que tu charges quelqu’un de nous entretenir : ce qui n’est pas ton intention, comme ta lettre nous l’annonce.

Nous sommes étonnés, je te l’avoue, que tu ne comprennes point une phrase que tu nous as toi-même répétée cent fois pour une. Ta mémoire ne t’a pas mieux servi en un autre point : jamais maman ne nous a dit qu’elle t’eût apporté 40 000 francs de rente ; au contraire, elle nous assurait que, lors de votre mariage, vous étiez tous deux sans fortune. Abel n’a aucun souvenir de ce que tu nous marques.

Quant à la fin de ta lettre, nous ne pouvons te cacher qu’il nous est extrêmement pénible de voir traiter notre mère de malheureuse, et cela dans une lettre ouverte qui ne nous a été remise qu’après avoir été lue… Nous avons vu ta correspondance avec maman ; qu’aurais-tu fait dans ces temps où tu la connaissais, où tu te plaisais à trouver le bonheur près d’elle, qu’aurais-tu fait à la personne assez osée pour tenir un pareil langage ? Elle est toujours, elle a toujours été la même, et nous penserons toujours d’elle comme tu en pensais alors. Telles sont les réflexions que ta lettre a fait naître en nous. Daigne réfléchir sur la nôtre, et sois assuré de l’amour qu’auront toujours pour toi

Tes fils soumis et respectueux
E. Hugo. — V. Hugo[1].
  1. Louis Barthou.Le Général Hugo.