Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/32

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ne pouvait plus ni lui dire, ni lui écrire. Seulement, elle non plus, avant que le livre fût achevé, elle ne pourrait pas les lire ou les entendre. Alors Victor pensa au Conservateur littéraire.

M. Foucher recevait la Revue et il devait lui être difficile de la dissimuler à Adèle. Dans les nombreux travaux de Victor, nous avons omis ses lectures ; il avait déterré dans une chronique du xve siècle l’histoire d’un jeune poète, disciple de Pétrarque, Raymond d’Ascoli, qui, séparé de celle qu’il aimait, préféra se donner la mort. Victor, sur ce jeune désespéré, composa une élégie, le Jeune Banni, et, en sa qualité de rédacteur en chef, inséra cette lettre détournée dans le numéro de juillet 1820 du Conservateur littéraire. C’était peut-être au moment où l’on parlait du nouveau prétendant à la main d’Adèle. Raymond d’Ascoli écrira Emma, — et Adèle, le cœur palpitant, put lire ces vers (pas très bons, mais s’en est-elle aperçue ?) :

Bientôt... Lis sans retard, lis, ô ma douce amante,
Ces mots qu’en frémissant trace ma main tremblante.
Qu’eût servi jusqu’ici ce pénible secours ?

.   .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
Hier... Te souvient-il, fille douce et modeste,
De cet hier déjà si loin de moi ?
Je souriais, l’amour veillait seul avec nous ;
Et toi, dans ta gaîté naïve,
Tu m’appelais ton jeune époux !
.   .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
...Tu verras, rougissante, étonnée,

Un plus heureux hâter ton réveil matinal,
Et, saisissant ta main dans sa main fortunée,
Te conduire au lieu saint ! . .  .  .  .  .  .  .  .  .
Et puis il cachera ton bandeau virginal

Sous la couronne d’hyménée !
Un autre !... ô douleur ! ô tourment !
Je t’aimais sans délire et je t’aime avec rage !

Mon Emma, songe à moi ! respecte ton serment !

Adèle a respecté son serment, et Victor a donné à Adèle signe de vie, voilà qui est bien ; mais il n’a pu en même temps éviter le risque qu’il redoute par-dessus tout, le risque d’affliger et d’offenser sa mère. Il est clair que Mme  Hugo a saisi, aussi bien qu’Adèle, le sens de cette poésie transparente, et il est certain qu’une scène de reproches et de larmes a dû s’ensuivre et que la dure séparation a dû se faire plus étroite et plus douloureuse entre les amants. C’est encore le bienheureux Conservateur littéraire qui réussira à l’adoucir.

M. Foucher, qui était, nous l’avons dit, chef de bureau au Ministère de la Guerre, publia, par chance, vers ce temps-là, un volume intitulé : Manuel du recrutement, livre spécial et technique qui n’avait assurément aucune prétention littéraire. Mais notre amoureux ne l’entendait pas ainsi ; il s’empressa de faire dans le Conservateur, si littéraire qu’il fût, un vif éloge du bel ouvrage qu’avait signé le père d’Adèle. Accorder quelque louange à un ancien ami et à un parfait recruteur n’a rien de répréhensible, et Mme  Hugo ne pouvait trouver à y redire.

L’article plut assurément ; mais M. Foucher, retranché dans sa dignité, crut