Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duite me méritait l’estime de celle que j’aime par-dessus tout, la vôtre, et celle des amis et ennemis.

Je serai toujours le même et mon attachement filial pour vous ne changera pas davantage.

Votre dévoué,
Victor.


À Monsieur Foucher[1].


Montfort-l’Amaury, 3 août 1821.
Monsieur,

C’est de dix lieues que je vous écris[2], affligé de ne pouvoir que vous écrire, dans un moment où j’aurais tant de choses à vous dire. Je sens qu’on dit plus en un quart d’heure de conversation qu’en douze pages de lettres. Vous avez pu savoir combien la rotation du ministère avait reculé quelques-unes de mes espérances[3]. Croyons que cette crise ne sera que momentanée et que les royalistes reprendront bientôt l’influence qu’ils doivent naturellement avoir dans les affaires de la royauté. Dans la lésion de tant de grands intérêts, le naufrage de mon intérêt particulier n’eût été rien pour moi s’il n’eût nui qu’à moi ; mais mon intérêt touche maintenant de bien près à un intérêt bien autrement cher, bien autrement précieux, et voilà pourquoi je veux en prendre soin. Rien n’est désespéré, et un petit échec n’abat pas un grand courage. Je ne me dissimule ni les incertitudes, ni même les menaces de l’avenir ; mais j’ai appris d’une mère forte qu’on peut maîtriser les événements. Bien des hommes marchent d’un pas tremblant sur un sol ferme ; quand on a pour soi une conscience tranquille et un but légitime, on doit marcher d’un pas ferme sur un sol tremblant.

Je travaille ici à des ouvrages purement littéraires, qui me donnent la liberté morale en attendant qu’ils me donnent l’indépendance sociale. Les lettres considérées comme jouissances privées, sont un bonheur dans le bonheur, et une consolation dans le malheur. Pardonnez-moi de vous en parler

  1. Bibliothèque nationale.
  2. Inédite en partie.
  3. Les ministres Corbière et de Villèle donnaient leur démission le 25 juillet ; le lendemain, Chateaubriand, alors ambassadeur à Berlin, se démettait de ses fonctions, et Victor Hugo perdait momentanément son meilleur appui.