Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/411

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À Madame Victor Hugo,
chez Monsieur le général comte Hugo, Blois.


Paris, vendredi 20 mai, 7 h. 1/2 du matin.

Tu n’as pas encore lu ma première lettre, mon Adèle bien-aimée, au moment où je commence cette seconde. Me voici à Paris, j’ai déjeuné avec tes bons parents que j’ai retrouvés toujours les mêmes, me soignant ici, comme les miens te soignent là-bas. J’ai encore le bruit de la diligence dans les oreilles, je suis moulu et étourdi par cette rude voiture, mais il ne m’est pas malaisé de rassembler mes pensées pour t’écrire : elles se réduisent à une seule, toi ! et toujours toi, et toujours toi ! C’est toi qui m’as tenu compagnie dans mon insomnie de cette nuit ; c’est toi qui m’as entretenu au milieu de ces monotones et insipides conversations de voyage ; c’est toi qui m’as donné le courage de me séparer de toi, et me conserveras ma force durant cette éternelle absence. Ne lis tout ce que je t’écris qu’à nos bons parents ; d’autres pourraient trouver notre chagrin ridicule, et il est inutile de les faire rire de ce qui nous fait souffrir.

Notre voyage a été bon, quoique toutes les dispositions pour mes places eussent été mal prises, et que je me sois toujours trouvé rangé où je ne devais pas être, par suite de la bêtise de cette hôtesse de Blois. Je ne me ressens plus du froid et presque plus de la fatigue, mais la tristesse et l’ennui me restent, et vont s’accroissant. Si je suis inspiré au sacre, ce ne sera pas par ma muse gaie. Je trouve ici force lettres, paquets, papiers, livres, etc. Je t’envoie ci-inclus la lettre de Soumet, elle te fera plaisir ainsi qu’à mon excellent père. Conserve-la bien. J’ai trouvé aussi une félicitation bien aimable de Villemain[1], datée du 27 avril ; il m’invite à dîner pour le 1er mai dernier, et me recommande de ne pas lui faire faute. Tu vois s’il a dû m’attendre longtemps. Je vais lui écrire pour lui expliquer mon absence et mon silence, et j’irai le voir.

Il faut que je te quitte, mon ange adoré, les mille et une affaires m’appellent. Je vais commencer mes courses. J’ai remis la note à ta bonne mère qui t’embrasse avec ta Didine bien tendrement, mais non autant que

  1. Villemain était, en 1825 professeur de littérature française à la Sorbonne ; académicien, secrétaire perpétuel de l’Académie dès 1832 ; écrivain très apprécié, il avait déjà obtenu de nombreux succès ; il fut ministre de l’Instruction publique en 1844 ; il publia de nombreux ouvrages littéraires et historiques ; son amitié pour Victor Hugo ne se relâcha jamais, même sous l’empire.