Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/43

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Dimanche, 25 mars.

J’ai été désolé, mon Adèle, de n’avoir pu te voir hier matin, comme je l’espérais. Si tu avais reçu sans rien me dire de consolant ma dernière lettre, nous ne nous serions plus revus ; mais tu m’as donné en ce moment-là même une preuve d’affection qui m’a profondément touché, tu as consenti à m’écrire encore. Je voulais reprendre ce que je t’avais écrit dans un instant de colère et de découragement. Tu n’as pas voulu me le rendre et tu as lu ce que j’aurais déjà désiré que tu eusses oublié. Il était donc important que je te visse samedi matin pour effacer l’impression de ce triste billet.

Je t’avais écrit quelques mots que tu trouveras ci-joints. Un contre-temps fâcheux m’a empêché de te les remettre. Pardonne-moi donc ma précédente lettre, comme je te pardonne la douleur que la tienne m’avait causée.

Tu veux bien m’écrire encore : cependant je ne dois pas abuser de ta générosité ; tu t’exposes, m’as-tu dit, à être rencontrée avec moi ; tu crains les yeux de toutes les commères du quartier ; et je voudrais trouver un moyen d’accorder toutes ces misérables convenances avec le bonheur de te voir auquel je ne puis renoncer. Prononce toi-même. Si tu veux que nous ne nous voyions plus qu’une fois toutes les semaines, tous les quinze jours, tous les mois même... je t’obéirai, et cette pénible obéissance sera la plus grande preuve que je puisse te donner d’un attachement sans bornes. Alors nous nous écririons chaque fois que nous nous verrions, et tu me parlerais beaucoup de toi, car c’est le seul sujet qui puisse m’intéresser.

Quant à revenir chez toi, je n’en vois pas de moyen possible, à présent du moins. Ma famille est ambitieuse pour moi comme je suis ambitieux pour toi. Un jour, j’espère que si je parviens à être son soutien, si je lui donne du repos et de la fortune, elle me permettra d’être heureux ; autrement, j’aurais ma volonté. Alors, Adèle, tu seras à moi. Voilà mon unique espérance. Ceux qui voudraient m’enlever à toi ignorent que sans elle je ne serais rien.