Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/462

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vous écrire, il peut y avoir paresse ou affaires ? Cela a dû vous mécontenter fort, et, je me trompe peut-être, mais il me semble que votre troisième lettre (de Worms) bonne, excellente et parfaite qu’elle est, est cependant plus froide que les deux autres. Je ne saurais vous dire, cher ami, à quel point cette idée me tourmente et combien il me tarde que la feuille de papier que voici soit à Reims, et vous aussi. — Ainsi rien de notre pensée, rien de notre tristesse ne vous a accompagné, durant votre voyage ! Vous n’avez pas su à quel point tout ici a été rempli de votre absence, combien nous avons parlé de vous, pensé à vous, qu’il n’y a plus de bonne soirée rue Notre-Dame-des-Champs, depuis que vous n’y êtes plus, plus de canapé, plus de coin de feu, plus de causeries, que vous nous avez manqué pour tout. Vous n’avez rien su de tout cela, vous, mes deux amis les plus chers ? et si vous en avez deviné quelque chose, cette absurde lacune de Strasbourg est venue dérouter votre amitié et la faire douter de la mienne ! Cela n’est-il pas désolant ? Dépêchez-vous donc bien vite d’arriver à Reims et de lire ce que j’écris ici !

Au reste, vous m’avez encore porté bonheur. Votre troisième lettre m’a rendu mes yeux. C’est la première chose que j’ai lue depuis votre départ, et, avec la lettre pour Boulanger, ceci est la première chose que j’écris. Cette lettre vaudrait d’être moins insignifiante. Les vôtres font notre joie, et nous les relisons sans cesse. C’est un journal charmant de votre voyage, mêlé de bonnes et tendres pensées pour nous.

Hélas ! mon pauvre ami, hors vos lettres, il ne m’est guère venu de joie du dehors depuis trois semaines. Tout s’assombrit autour de nous. Nous voilà revenus comme à nos premiers jours de lutte et de combat. Ces misérables Janin et Latouche, postés dans tous les journaux[1], épanchent de là leur envie et leur rage et leur haine. Ils ont fait une défection fatale dans nos rangs au moment décisif. La vieille école, qui ne soufflait plus, a repris l’offensive. Un orage terrible s’amoncelle sur moi, et la haine de tout ce bas journalisme est telle, qu’on ne me tient plus compte de rien. Othello a réussi cependant, non avec fureur, mais autant qu’il le pouvait, et grâce à nous. Ma conduite en cette occasion a tout à fait ramené Alfred de Vigny et nos shakespeariens ; cela du moins est un bien ; mais, à la caverne des journaux et dans l’antre des coulisses, une double cabale s’organise contre moi et ne fait que s’aiguiser sur Othello pour Hernani. Voilà où nous en sommes. Cela est bien triste comme vous voyez. On nous fait payer bien cher l’avenir. Mais arrivez vite, et pour quelques jours du moins je n’y penserai plus.

  1. Le Figaro, le Messager des Chambres, la Quotidienne multipliaient les attaques.