Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III

Le rendez-vous du 28 avril, dont Victor se promettait tant de bonheur, devait être pour bien longtemps le dernier ; les amoureux, à partir de ce jour, allaient cesser de se voir, cesser même de s’écrire. Non qu’ils eussent été découverts et de nouveau séparés par ordre. Mais Mme  Hugo, dont la santé était, depuis plusieurs mois, chancelante, tomba gravement malade dans les premiers jours de mai, et Victor, de ce moment, ne quitta plus le chevet de sa mère.

Le mal, avec des alternatives de mieux et de pire, dura pendant deux mois. Mme  Hugo mourut le 27 juin 1821.

La mort de sa mère fut pour Victor une immense douleur. Sa « faculté d’aimer », dont il parle quelque part dans ses lettres, avait un premier besoin, la famille, et l’adoration qu’il avait vouée à sa mère lui avait donné cet aliment nécessaire, avec la douceur infinie de se sentir aussi infiniment aimé par elle. Il avait été deux fois son enfant, il était maintenant deux fois orphelin. Éloigné de son père pour le moins indifférent, froidement traité par ses frères que sa supériorité offusquait, séparé d’Adèle qu’on lui refusait, il se sentit seul au monde.

Son accablement fut porté au comble par un incident douloureux ; il le racontera dans une de ses lettres, nous ne ferons que l’indiquer ici. Le 29 juin, le soir même de l’enterrement de sa mère, ne pouvant supporter la solitude de sa maison vide, il sortit, et, d’instinct, vint errer, comme il le faisait souvent, aux alentours de l’hôtel Toulouse. Les fenêtres étaient illuminées, c’était la fête de M. Foucher, il y avait bal au logis. Victor connaissait les êtres, il monta au second étage, entra dans une pièce déserte d’où un vasistas donnait sur la salle de bal, et, de là, put voir Adèle qui dansait et qui riait.

Plus tard elle lui prouva qu’on lui avait absolument caché la vérité et lui certifia que, si elle eût été avertie de sa présence, elle aurait tout bravé, tout laissé là pour aller pleurer avec lui. Mais sur le moment ce nouveau coup l’acheva. Était-ce vrai ? était-ce possible ? Adèle l’oubliait à ce point ! Adèle ne l’aimait donc plus !

Avant tout, il s’agissait, pour se rapprocher d’elle, de renouer avec les siens. Mais ceux-ci ne paraissaient guère disposés à s’y prêter.

M. Foucher avait dû faire aux fils de son ancienne amie une visite de condoléance, et Victor s’était hâté de lui rendre cette visite ; mais on ne lui avait pas laissé voir Adèle. M. Foucher lui avait même insinué qu’il ferait bien, pour se distraire, de s’absenter de Paris. On sait que lui-même il louait chaque année pendant l’été un pied-à-terre à la campagne, d’ordinaire dans la banlieue. Mais ce ne seraient pas deux ou trois lieues qui arrêteraient Victor ; le père alla, cette fois, s’installer avec sa femme et sa fille à Dreux, à vingt-cinq lieues — et à vingt-cinq francs de Paris.

Il partit le 15 juillet. Le 16, Victor se mettait en route et, en trois étapes, arrivait le 19 à Dreux. Il avait fait le chemin à pied.

Le lendemain, il alla errer par la ville et, comme la ville n’est pas grande, il ne tarda pas à rencontrer M. Foucher se promenant avec Adèle. Ici le drame tourne à la comédie. Il ne les aborda pas, mais il fit tenir aussitôt à M. Foucher une lettre. Elle est d’une haute invraisemblance, cette lettre, et le mensonge y devient presque touchant par sa candeur. Elle débute ainsi :