Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/500

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tion, je me hais d’être fou et malade à ce point. Le jour où vous voudrez ma vie pour vous servir, vous l’aurez, et ce sera peu sacrifier. Car, voyez-vous, je ne dis ceci qu’à vous seul, je ne suis plus heureux. J’ai acquis la certitude qu’il était possible que ce qui a tout mon amour cessât de m’aimer, et que cela avait peut-être tenu à peu de chose avec vous. J’ai beau me redire tout ce que vous me dites et que cette pensée même est une folie, c’est toujours assez de cette goutte de poison pour empoisonner toute ma vie. Oui, allez, plaignez-moi, je suis vraiment malheureux. Je ne sais plus où j’en suis avec les deux êtres que j’aime le plus au monde. Vous êtes un des deux. Plaignez-moi, aimez-moi, écrivez-moi.

Voilà trois mois que je souffrais plus que jamais. Vous voir tous les jours en cet état, vous le comprenez, remuait sans cesse toutes ces fatales idées dans ma plaie. Jamais rien de tout cela ne sortira au dehors, vous seul en saurez quelque chose. Vous êtes toujours, n’est-ce pas que vous le voulez bien ? le premier et le meilleur de mes amis. Voilà un jour pourtant sous lequel vous ne me connaissiez pas encore ! Que je dois vous sembler fou et vous affliger ! Écrivez-moi que vous m’aimez toujours. Cela me fera du bien... Et je vivrai dans l’attente du jour bienheureux où nous nous reverrons !

V.[1]


À Sainte-Beuve.


10 juillet [1831].

Votre lettre m’a fait du bien[2]. Oh ! oui, vous êtes toujours et plus que jamais mon ami ! Il n’y a qu’un bon et tendre ami comme vous qui sache sonder d’une main si délicate une douleur si profonde et si vive ! Nous nous reverrons en effet çà et là. Nous dînerons quelquefois ensemble. Ce sera une joie pour moi. — En attendant, mon pauvre ami, priez Dieu pour que le calme du cœur me revienne. Je ne suis pas habitué à souffrir !

V.[3]

Écrivez-moi. Ne m’abandonnez pas.

  1. Archives Spoelberch de Lovenjoul.
  2. « ... Tâchez, mon ami, tâchez de vaincre le malheureux et noir soupçon qui vous est né ; je sais combien cette plaie est douloureuse, pudique, et combien on rougit qu’une main y touche, même la main la plus délicate et la plus compatissante. Mais que n’avez-vous parlé plus tôt ? Que n’avez-vous, par un mot de confiance, éloigné plus à temps pour vous l’auteur de ce tourment ?... Quelquefois peut-être, plus tard, je vous demanderai de venir dîner avec moi à quelque café... Adieu mon ami, votre ami comme toujours et plus que toujours. » 8 juillet 1851. Gustave Simon. Lettres de Sainte-Beuve à Victor Hugo et à Mme Victor Hugo. Revue de Paris, 1er janvier 1905.
  3. Archives Spoelberch de Lovenjoul.