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À Léopoldine et à Charles Vacquerie.


Paris, 18 juillet [1843].

Je suis encore à Paris, ma fille bien-aimée. Ta bonne mère te contera comment. Mais je pars tantôt, et quand tu recevras cette lettre, pense avec tendresse à ton pauvre père qui roulera loin de toi sur la route du Midi. Si tu savais, ma fille, comme je suis enfant quand je songe à toi, mes yeux sont pleins de larmes, je voudrais ne jamais te quitter. Le spectacle de ton bonheur m’a charmé l’autre jour. Ton mari est bon, doux, tendre, aimable, spirituel, aime-le bien. Moi, je l’aime aussi.

Cette journée passée au Havre est un rayon dans ma pensée ; je ne l’oublierai de ma vie. Qu’il m’en a coûté de vous résister à tous ! Mais c’était nécessaire. Je suis parti avec un serrement de cœur. Et le matin, en passant près du bassin, j’ai regardé les fenêtres de ma pauvre chère Didine endormie. Je t’ai bénie et j’ai appelé Dieu sur toi du plus profond de mon cœur. Sois heureuse, ma fille, toujours heureuse, et je serai heureux. Dans deux mois je t’embrasserai. En attendant, écris-moi, ta mère te dira où. Je t’embrasse encore et encore.

V.

J’ai besoin de vous remercier, mon bon Charles, pour le bonheur que vous m’avez donné. Le jour que j’ai passé près de vous m’a ravi. J’ai vu ma fille heureuse par vous, et vous heureux par elle. Songez, mes enfants, que c’est là le paradis. Vivez-y tous les deux jusqu’à la mort.

Je pars aujourd’hui pour le Midi. Ma femme vous dira les affaires et les petits ennuis qui m’ont retenu huit mortels jours à Paris. Dans deux mois nous serons tous réunis. Soyez heureux en m’attendant. C’est tout ce que je vous demande.

Serrez pour moi la main de votre excellent frère et mettez tous mes hommages aux pieds de madame Lefèvre. Si Dieu lui donnait tout le bonheur qu’elle mérite, elle serait aussi heureuse que vous.

Je vous serre les deux mains, mon bon Charles.

V.[1]
  1. Archives de la famille de Victor Hugo.